Le Gaboteur

Les femmes conteuses prennent leur place

Sur la scène du 15e Festival du conte de St. John’s, les voix féminines étaient plurielles et exaequo avec les masculines. Est-ce surprenant?

- PAR MARILYNN GUAY RACICOT ET AUDE PIDOUX

À la question d'une spectatric­e qui lui demandait si, quand elle allait dans la forêt, elle communiqua­it avec les esprits, l'activiste Innue Elizabeth Penashue, invitée spéciale du 15e Festival du conte de St. John's, répondit : « Oh oui. Je regarde les animaux dans les yeux. Je communique avec eux. Et pis je leur tire dessus! »

En plus de tendre le micro à des femmes de caractère comme Elizabeth Penashue, le Festival du conte de St. John's (St. John's Storytelli­ng Festival) a présenté plus tôt en octobre un nombre égal de conteurs et de conteuses. En outre, tous ses invités spéciaux étaient des femmes. Cela pourrait passer pour un accompliss­ement; il y a quelques semaines, la conteuse québécoise et directrice du Festival intercultu­rel de Montréal, Stéphanie Bénéteau, déplorait en effet le manque de parité dans les festivals du conte au Canada.

Parler en public

Mais, pour la présidente du festival Catherine Wright, cela semble la chose la plus naturelle du monde. « Les femmes ont toujours raconté des histoires. Les grands-mères, les mères ont toujours voulu partager leurs histoires, surtout dans leur rôle plus traditionn­el, où elles étaient davantage impliquées avec les enfants. »

Selon Dale Jarvis, conteur et spécialist­e du folklore qui travaille à la fondation Heritage Newfoundla­nd & Labrador, « il y a toujours eu des femmes qui ont raconté des histoires en public. Terre-Neuve avait une tradition de concerts communauta­ires, de concerts d'église, les gens se produisaie­nt dans la salle paroissial­e. Je pense que les femmes ont toujours fait partie de cette communauté, même si la croyance veut que les hommes aient davantage parlé en public ».

Mais toutes les femmes n'aimaient cependant pas conter en public. Dans les communauté­s francophon­es de la côte ouest, certaines femmes semblaient faire vivre leurs histoires loin des feux de la rampe. Dans son ouvrage The Two Traditions: The Art of Storytelli­ng Amongst French Newfoundla­nders (1993), feu Gerald Thomas, fondateur du Centre d'études franco-terre-neuviennes et ancien professeur et directeur du départemen­t de folklore de l'Université Memorial, fait état des cercles privés que privilégia­ient des conteuses comme Blanche Ozon et Angela Kerfont, de la péninsule de Portau-Port.

Tenir les enfants tranquille­s

Il y a fort à parier que beaucoup de femmes, tant francophon­es qu'anglophone­s, étaient aussi conteuses sans le savoir. « Je me souviens d'Alice Lannon racontant comment ses histoires lui avaient été transmises par sa grand-mère. Cette dernière avait beaucoup de petites-filles. Elle leur racontait des histoires pour qu'elles restent sages pendant qu'elle les coiffait. Souvent, c'était des contes de fée », relate Dale Jarvis.

En outre, pas besoin de raconter des contes fantastiqu­es pour être conteuse. Les histoires que racontaien­t beaucoup de femmes tenaient plus du récit de vie, comme le montre l'exemple d'Elizabeth Penashue ou encore de Florence Leprieur, de l'Anse-à-Canards. Car, quand on a des dizaines d'enfants à nourrir, des maris partis en mer, des tempêtes et des hivers qui n'en finissent pas, ça fait des histoires extraordin­aires !

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Photo : Courtoisie du St. John’s Storytelli­ng Festival La conteuse britanno-colombienn­e Anne Glover était l’une des invitées spéciales lors du récent Festival de conte.

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