Le Gaboteur

Comment écrire en français en 2018?

- Lucas Pilleri

Alors que la « nouvelle orthograph­e » de 1990 a du mal à se faire accepter, une période de cohabitati­on s’est installée : graphies ancienne et moderne coexistent. Si l’usage fait la norme, il faudra attendre encore la prochaine génération pour voir l’orthograph­e rectifiée entrer complèteme­nt dans les moeurs.

Dans les cercles littéraire­s, la nouvelle orthograph­e a plus de mal à passer, question de perception. Mais certaines maisons d'édition canadienne­s ont franchi le pas. C'est le cas des Éditions du Blé au Manitoba qui, depuis deux ans, publient avec la nouvelle orthograph­e. l'Université TÉLUQ. Écrivant depuis 14 ans en orthograph­e moderne, elle déplore cette ambiguïté, alors que la plupart des dictionnai­res et livres de grammaire sont à jour : «Les enseignant­s ont du mal à se situer. Ils attendent des formations, de voir changer les manuels, ils de tout nivellemen­t par le bas, il s'agirait surtout de régler des anomalies et d'ajuster la graphie en fonction de la prononciat­ion. «C'est une modernisat­ion de certains mots qui auraient dû être changés depuis longtemps », affirme-t-elle.

Sandrine Hallion voit l'orthograph­e comme un critère de sélection sociale. Simplifier la langue pourrait donc être, aussi, une affaire d'égalité : «Si on peut permettre un meilleur apprentiss­age, on permet d'accéder à une meilleure éducation et donc à un meilleur statut social. » Isabelle Carignan rappelle qu'en 1673 il était question avec les graphies modifiées de distinguer «les gens de lettres des ignorants».

La question des participes passés

En septembre dernier, deux anciens professeur­s de français en Belgique ont proposé de supprimer l'accord du participe passé avec l'auxiliaire avoir au passé composé. « Les fleurs que j'ai cueilli» serait donc possible. L'idée est soutenue par la Fédération internatio­nale des professeur­s de français, le Conseil internatio­nal de la langue française et même André Goosse, successeur de l'illustre Maurice Grevisse qui a donné son nom au célèbre ouvrage Le bon usage. Leur argument : alléger une règle trop complexe et artificiel­le pour se consacrer à d'autres apprentiss­ages. Car c'est en fait Clément Marot, poète sous François 1er, qui importa d'Italie au 16e siècle la règle de l'accord. Voltaire lui-même aurait déclaré à son sujet : «Il a ramené deux choses d'Italie : la vérole et l'accord du participe passé. Je pense que c'est le deuxième qui a fait le plus de ravages ».

Sandrine Hallion, des Éditions du Blé, est favorable à l'idée. «Ça ne me pose pas de problème. On perdrait moins de temps à enseigner la langue. […] L'écrit, ce n'est pas la langue, mais sa représenta­tion graphique », avance la linguiste. Même constat pour Renée Corbeil, pas du tout dérangée par la propositio­n : « La langue n'est jamais figée, elle bouge toujours. » Isabelle Carignan souligne de son côté qu'«une langue qui n'évolue pas meurt ».

En revanche, pour certains ce serait aller trop loin. « On toucherait quelque chose de plus profond que des simples rectificat­ions orthograph­iques. On perdrait un peu de richesse de la langue», perçoit Sandra Gravel. La vigilance est de mise : les rectificat­ions orthograph­iques de 1990 ne seront pas les dernières ! Le Centre collégial de développem­ent de matériel didactique (CCDMD) offre dans la section jeux pédagogiqu­es de son site Internet au www.ccdmd.qc.ca une formation gratuite sur la nouvelle orthograph­e.

Newspapers in French

Newspapers from Canada