« Ça m’intéresse de raconter des histoires de femmes »
L’International Women’s Film Festival de St. John’s rappelle, chaque année, que si les femmes sont toujours sous-représentées et sous-financées dans l’industrie du cinéma, elles n’en réalisent pas moins des films magnifiques. Rencontre avec la réalisatrice terre-neuvienne Deanne Foley, qui y présentait la semaine dernière son troisième long métrage,
école de cinéma. Mais mes parents m'encourageaient plutôt à obtenir mon diplôme et à me trouver un travail. Après mon baccalauréat, j'ai vécu un temps en Irlande pour y faire une maîtrise, mais je passais plus de temps à travailler sur des pièces de théâtre et à diriger des acteurs qu'à écrire ma thèse. C'est là que j'ai vu le film Trainspotting, que j'ai regardé 11 fois! Je suis ensuite partie en Corée du Sud enseigner l'anglais dans une université. C'était un bon travail, bien payé, j'aimais enseigner, j'avais de bonnes relations avec mes étudiants, mais la création me manquait.
C'est alors qu'une amie m'a appelée d'Halifax, me racontant qu'on commençait à y tourner des films américains. J'avais 27 ans. J'ai décidé d'y aller et d'essayer d'entrer dans l'industrie du cinéma. J'ai décroché un premier emploi pour CTV, j'ai rencontré des producteurs, j'ai participé à des quantités d'ateliers traitant de tous les aspects de la réalisation de film, et j'ai réalisé mon premier court-métrage, Trombone Trouble, l'histoire d'une petite fille qui essaie, en vain, de se débarrasser de son trombone. Il a été très bien reçu dans différents festivals, et ça a lancé ma carrière!
On parle beaucoup ces tempsci de la sous-représentation des femmes au cinéma, tant devant que derrière la caméra. Comment c’est, d’être une femme réalisatrice?
À mes débuts, je ne me voyais pas comme une réalisatrice femme, mais comme une réalisatrice tout court. Je ne pensais pas que ça faisait de différence et je ne me sentais pas désavantagée. J'ai aussi eu la chance d'être entourée des bonnes personnes, qui m'ont offert beaucoup de soutien, et de ne pas avoir vécu d'expériences négatives.
Mais avec le recul, je me rends compte que j'ai eu de la chance et que ce sont les statistiques qui racontent la véritable histoire des femmes et du cinéma, pas mon expérience personnelle. L'année de la sortie de mon deuxième long métrage, Relative Happiness, seuls 4 % des films canadiens avaient été réalisés par des femmes.
Ici à Terre-Neuve, grâce au Women's Film Festival, les femmes cinéastes reçoivent plus de soutien qu'ailleurs. Mais ce n'est pas vrai pour le reste du Canada. La majorité des films qui coûtent cher (plus de 2,5 millions de dollars) sont réalisés par des hommes. En prenant de l'âge, je réalise que l'histoire ne cesse de se répéter. C'est pourquoi je trouve important que les femmes se soutiennent entre elles.
Vos trois longs métrages ont tous des femmes pour personnage principal. Est-ce que c’est un choix conscient de votre part?
Oui. Quand on fait un film, on raconte toujours un peu notre propre histoire. Ça m'intéresse de raconter des histoires qui mettent en scène des femmes. Et je veux raconter des histoires de femmes entièrement « réalisées », c'est-à-dire faire leur portrait en profondeur, et dépasser la vision stéréotypée des femmes que présente parfois le cinéma.
Votre dernier film,
est tiré d’un livre du même nom de Joan Clark. Qu’est-ce qui vous a inspirée dans cette histoire?
of Chairs, An Audience
Ce n'est pas moi qui ai eu l'idée de réaliser un film sur ce livre, ce sont les producteurs qui me l'ont proposé. Le livre a été adapté pour le cinéma par Rosemary House. Quand j'ai lu le script, puis le roman, j'ai pleuré. Ça raconte l'histoire d'une mère qui, à cause de sa maladie mentale, perd ses enfants. J'ai moimême deux enfants, et imaginer les perdre me bouleverse. Aussi, j'avais réalisé jusque-là deux comédies et j'avais envie de faire quelque chose avec plus de sens.
La santé mentale est un sujet important qui touche tout le monde, qu'on soit personnellement affecté ou qu'on connaisse des gens qui le sont. Et ce film, c'est l'histoire d'une rédemption. Cette mère a un amour immense pour ses enfants mais a aussi ce noeud en elle qui la fait commettre une erreur qui change sa vie à jamais.
Il était important, tant pour moi que pour l'actrice principale, Carolina Bartczak, de réaliser un portrait honnête et authentique de cette maladie mentale qu'est le trouble bipolaire. Carolina Bartczak s'est informée auprès de différentes personnes, dont un psychologue, pour mieux saisir à quoi ressemble cette maladie et aussi pour s'assurer que l'histoire et le script correspondaient bien à la réalité de ce trouble mental. Nous voulions être sûres de bien comprendre.
Vous avez tourné les scènes extérieures du film à TerreNeuve, à Tors Cove et à St. John’s. Avez-vous aimé filmer à Terre-Neuve?
J'aime la beauté du lieu. Tors Cove, avec ses prairies qui tombent dans la mer, m'inspirait. On y ressent un sentiment d'isolement. Et cette femme qui souffre à l'intérieur d'elle-même est entourée d'un paysage magnifique et d'enfants magnifiques. Je trouvais intéressant de faire contraster son environnement avec ses problèmes mentaux.
An Audience of Chairs a été présenté au St. John’s International Women’s Film Festival en première le 17 octobre. Il paraîtra sur les écrans de cinéma début 2019.
Deanne Foley est aussi l’une des six coréalisatrices d’un autre long métrage présenté lors du festival, Hopeless Romantic.