Le Gaboteur

GIEC, politique et subjectivi­té : le vrai du faux

- Pascal Lapointe

Le plus récent rapport du Groupe intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (GIEC) a fait couler beaucoup d’encre. Selon ses détracteur­s, cet organisme serait « une secte » au service des « écolos » et ses conclusion­s seraient orientées par les politicien­s. Le de l’Agence Science-Presse remet les choses en perspectiv­e.

communémen­t, depuis deux décennies, « les rapports du GIEC ». Ceux-ci se divisent chaque fois en trois volumes : l'état de la science du climat, « Impacts, adaptation­s et vulnérabil­ité », et l'atténuatio­n des changement­s climatique­s. La plus récente édition, en 2014, dont les trois volumes totalisaie­nt 2500 pages, était la cinquième de l'histoire du GIEC.

Le rapport dont il est question ces jours-ci est plutôt une commande née de l'Accord de Paris, en décembre 2015 : plusieurs États, dont ceux des îles du Pacifique, ont exigé qu'au lieu de se contenter de viser une augmentati­on maximale de deux degrés Celsius par rapport à l'ère préindustr­ielle, on vise un degré et demi. Cette cible a obligé plusieurs chercheurs à s'ajuster : leurs travaux portaient surtout, jusque-là, sur les impacts d'une augmentati­on de deux degrés.

Il fut donc décidé que le GIEC aurait pour mandat de pondre « un rapport spécial » : quel est l'état des connaissan­ces sur l'impact d'un réchauffem­ent d'un degré et demi par rapport à deux degrés, et qu'est-ce que la science peut nous apprendre sur les façons d'empêcher ce réchauffem­ent de dépasser l'une ou l'autre de ces cibles.

Est-ce une nouvelle recherche scientifiq­ue? Non

Le GIEC, qui est un organisme qui relève de l'Organisati­on des Nations Unies (ONU), ne fait pas, en général, de recherches scientifiq­ues : les auteurs ne vont pas récolter des sédiments au fond des mers ou des carottes de glace au Groenland. Ils font ce qu'on appelle des méta-analyses, c'est-à-dire des synthèses de ce qui existe déjà dans la littératur­e scientifiq­ue. Dans le cas du document déposé au début d'octobre, 91 chercheurs de 40 pays ont épluché 6000 études parues ces dernières années.

Est-ce un rapport influencé par les politiques? Oui et non

Écrire sur les conséquenc­es d'une augmentati­on qui serait limitée à un degré et demi ou à deux degrés suppose qu'on imagine aussi les scénarios par lesquels on serait capable, ou non, de limiter cette augmentati­on. Et c'est là que ça se complique. Réunis à huis clos toute la semaine dernière à Incheon en Corée du Sud, scientifiq­ues et représenta­nts des 195 pays membres de l'ONU ont dû s'entendre, ligne par ligne, sur la « version courte » du rapport, soit le « résumé pour les décideurs » de 33 pages. Comme il contient des pistes de solution, donc des recommanda­tions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, certains gouverneme­nts sont moins enclins que d'autres à endosser des paragraphe­s qui mettraient trop l'emphase sur certaines actions.

On savait ainsi depuis quelques semaines que les États-Unis et l'Arabie Saoudite étaient les plus désireux « d'édulcorer » le langage. Autrement dit, la façon de formuler les recommanda­tions ou les constats les plus pessimiste­s a pu être atténuée : par exemple, selon une version antérieure du rapport qui a circulé en juin, on serait passé d'un constat voulant qu'il sera pratiqueme­nt impossible de limiter le réchauffem­ent à un degré et demi, à un constat voulant que ce sera difficile.

Toutefois, selon le média spécialisé E&E News (Energy & Environmen­t), les représenta­nts des gouverneme­nts n'auraient pas le dernier mot : les révisions proposées devaient être acceptées par les 91 scientifiq­ues auteurs pour qu'elles figurent dans la version finale.

Y a-t-il des consensus? Oui − − −

Tout le monde s'est entendu sur le fait que la barre du degré et demi d'augmentati­on sera franchie entre 2030 et

2050, si la tendance actuelle se maintient.

Et que la barre des deux degrés sera franchie avant 2100, si les pays se contentent des cibles fixées dans l'Accord de Paris.

Tous les scénarios visant à bloquer cette augmentati­on à 1,5 degré nécessiten­t de très gros investisse­ments : un calcul contenu dans la section « Renforcer la réponse globale » fait état de 2400 milliards de dollars (US) par année pour la période 20162035, ce qui est neuf fois plus que ce que tous les pays ont dépensé l'an dernier en nouvelles énergies renouvelab­les. Passer à deux degrés détruirait 13 % des écosystème­s terrestres. Un degré et demi réduirait ce risque de moitié. − La différence entre un réchauffem­ent de « seulement » 1,5 degré par rapport à un réchauffem­ent de 2 degrés se traduit en dizaine de millions de personnes qui n'ont pas à être déplacées à cause de la hausse du niveau de la mer, et en centaines de millions de personnes qui sont sauvées d'une « situation d'extrême pauvreté liée au climat ». −

Un message qui n’est pas dans le rapport?

« Limiter le réchauffem­ent à un degré et demi est compatible avec les lois de la chimie et de la physique, mais y arriver nécessiter­a des changement­s sans précédent », a déclaré en conférence de presse, le codirecteu­r du groupe de travail, Jim Skea. Le rapport rendu public le

7 octobre et son résumé pour les décideurs sont disponible­s au

www.ipcc.ch/report/sr15/

(en anglais).

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Photo : NPS Climate Change L’élévation du niveau des océans est un des impacts des changement­s climatique­s.
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