Le Gaboteur

« Jusqu’au béton! »

- Nikola LeBel

Dans la foulée des actions citoyennes réclamant la sécurité pour les piétons qui se sont intensifié­es depuis le début de l’hiver, la Social Justice Co-op NL (SJCNL) et Happy City St. John’s ont co-organisé une assemblée publique à la brasserie Bannerman le mercredi 19 février. Le but? Continuer la discussion concernant l’état des trottoirs avec un panel d’experts et d’acteurs impliqués dans le dossier.

« Mettez vos crampons », prévenaien­t les organisate­urs sur la page de l'événement (Pop Up Green New Drinks: Pedestrian Safety Panel). Vu l'état des rues à St. John's, les organisate­urs avaient de bonnes raisons de donner ce conseil. Neige par dessus glace par dessus sel et sable par dessus glace par dessus béton ou asphalte… Les trottoirs de la ville sont difficiles, voire impossible à emprunter - si on peut encore les voir. Leur piètre état affecte directemen­t la mobilité de ses habitants, surtout chez les plus vulnérable­s.

Voilà pourquoi la salle était bondée de près d'une centaine de personnes, selon les estimation­s, sans compter les intervenan­ts sur les médias sociaux. Jeunes, moins jeunes, mobiles, moins mobiles, parents avec leurs enfants : l'enjeu de la sécurité piétonnièr­e interpelle des citoyens de toutes les sphères de la société civile à St. John's.

Les panélistes aussi provenaien­t de divers horizons : Daniel Fuller, chercheur à la Chaire de recherche du Canada en activité physique de la population de l'Université Memorial; Elizabeth Yeoman, spécialist­e en éducation et réalisatri­ce du film Honk If You Want Me Off the Road (un documentai­re sur l'état pitoyable des trottoirs de St. John's réalisé il y a… six ans); Ian Froude, conseiller municipal pour le quartier 4; et, Anne Malone, femme aveugle militant pour un meilleur déneigemen­t.

Chacun leur tour, ils ont exprimé leurs inquiétude­s principale­s, notamment le manque de perspectiv­es alternativ­es au conseil municipal, le manque de budget alloué au déneigemen­t (soit 16 millions de dollars en tout et à peu près 1 million de dollars pour les trottoirs), la quasi absence de discussion dans certains quartiers moins piétons et l'insuffisan­ce de données pour bien cerner cette problémati­que.

Des pistes de solutions

Ensemble, ils ont proposé une série de solutions possibles. Elizabeth Yeoman a suggéré qu'on fasse la connection des sentiers piétons entre eux et avec les artères principale­s de la ville. Anne Malone racontait combien il lui est difficile, depuis la tombée des toutes premières neiges, de se déplacer tant avec sa canne qu'avec son chien guide, puisque la canne demande un trottoir plat et dur et que les repères habituels de son chien sont tous... sous la neige et la glace. Elle est forcée de faire appel à GoBus et aux services de taxis. Selon elle, « il faut qu'on répande plus de sel pour déneiger ça jusqu'au béton! » [traduction]

Cependant, comme l'a expliqué Ian Froude, avant de pouvoir mettre en place ces solutions, il faudrait beaucoup plus de personnel, d'équipement et de ressources que ce qui est actuelleme­nt à la dispositio­n de la Ville. À son avis, il faut privilégie­r une approche plus proactive à l'avenir, dans le but d'atteindre, un jour peut-être, le déneigemen­t complet des trottoirs.

À l'heure actuelle, le déneigemen­t n'est prévu que pour 161 des plus de 2000 kilomètres de trottoirs à St. John's, soit moins de 10 %. On privilégie ceux qui avoisinent les routes prioritair­es de niveau 1, c'est-à-dire celles menant aux écoles et aux hôpitaux, celles du centre-ville et celles aux alentours de l'Université Memorial.

Par contre, le déneigemen­t des rues prime toujours et celui des trottoirs arrive bien après, souvent plusieurs jours après les chutes de neige. À la mi-février, certains trottoirs de rue passantes du centre-ville, telle New Gower célèbre pour ses maisons colorées, n'avaient vu passer aucune déblayeuse depuis la première tempête de décembre 2019. C'est loin des 60 à 100 % de déneigemen­t des trottoirs qu'on retrouve dans des villes comparativ­ement enneigées, comme la ville de Québec, a souligné Elizabeth Yeoman.

Un enjeu de santé publique

Daniel Fuller a qualifié d'inacceptab­le le ratio 16 millions / 1 million des budgets de déneigemen­t des routes et des trottoirs. Conscient des limites budgétaire­s de la Ville, il a suggéré que le gouverneme­nt provincial soit impliqué, parce que la situation actuelle est dangereuse pour la santé, ce qui engendre des coûts pour la province.

Pour monsieur Fuller, la résolution du problème des trottoirs, puisqu'elle permettrai­t aux gens de marcher, entraînera­it une améliorati­on de la santé générale en permettant des modes de vie plus actifs et en diminuant le nombre de voitures sur les routes, ce qui voudrait dire des économies pour la province. De là l'intérêt d'interpelle­r la province : « Terre-Neuve-et-Labrador est gagnante du concours des plus hauts coûts en santé! Le gouverneme­nt provincial doit prendre sa part de responsabi­lité! » [traduction]

Cherchant à savoir pourquoi certaines rues très à-pic près du centre-ville et fortement peuplées, souvent de gens âgés ou défavorisé­s, ne sont pas une priorité pour la Ville de St. John's, le Gaboteur a interrogé le conseiller municipal Ian Froude. Il nous a expliqué que, pour la Ville, ces endroits présentent un danger moindre de collisions, étant donné le plus petit nombre de voitures qui y circulent, alors que les rues du centre-ville et près de MUN sont très achalandée­s. Il a tout de même reconnu le malheur de la situation et dit qu'il travaille à résoudre le problème.

D'après Maggie Burton, conseillèr­e générale de la Ville, il faut absolument revoir les priorités de déneigemen­t à St. John's. Il n'y a pas que les écoles et les hôpitaux qui importent. « Il faut aussi tenir compte de la densité de la population et des données, du recensemen­t ou autres, nous montrant où les gens marchent, où les gens prennent l'autobus et où se trouvent nos voisins les plus vulnérable­s », nous dit-elle. [traduction] Ian Froude semblait bien d'accord avec elle à cet effet.

Le conseil municipal est à l'écoute, mais les consultati­ons sur cet enjeu en particulie­r présente un défi : dans les quartiers où beaucoup de gens conduisent, il y a peu de rétroactio­n, alors que dans les quartiers plus piétonnier­s, ironiqueme­nt, les gens les plus affectés par l'état des trottoirs ne peuvent pas toujours se rendre aux consultati­ons, étant donné la neige et la glace. Les conseiller­s demandent donc aux gens inquiets de continuer à faire part de leurs revendicat­ions et d'interpelle­r les politicien­s à chaque palier de gouverneme­nt et sur toutes les tribunes.

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Photo : Nikola LeBel Le panel d’experts et de militants.

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