« Jusqu’au béton! »
Dans la foulée des actions citoyennes réclamant la sécurité pour les piétons qui se sont intensifiées depuis le début de l’hiver, la Social Justice Co-op NL (SJCNL) et Happy City St. John’s ont co-organisé une assemblée publique à la brasserie Bannerman le mercredi 19 février. Le but? Continuer la discussion concernant l’état des trottoirs avec un panel d’experts et d’acteurs impliqués dans le dossier.
« Mettez vos crampons », prévenaient les organisateurs sur la page de l'événement (Pop Up Green New Drinks: Pedestrian Safety Panel). Vu l'état des rues à St. John's, les organisateurs avaient de bonnes raisons de donner ce conseil. Neige par dessus glace par dessus sel et sable par dessus glace par dessus béton ou asphalte… Les trottoirs de la ville sont difficiles, voire impossible à emprunter - si on peut encore les voir. Leur piètre état affecte directement la mobilité de ses habitants, surtout chez les plus vulnérables.
Voilà pourquoi la salle était bondée de près d'une centaine de personnes, selon les estimations, sans compter les intervenants sur les médias sociaux. Jeunes, moins jeunes, mobiles, moins mobiles, parents avec leurs enfants : l'enjeu de la sécurité piétonnière interpelle des citoyens de toutes les sphères de la société civile à St. John's.
Les panélistes aussi provenaient de divers horizons : Daniel Fuller, chercheur à la Chaire de recherche du Canada en activité physique de la population de l'Université Memorial; Elizabeth Yeoman, spécialiste en éducation et réalisatrice du film Honk If You Want Me Off the Road (un documentaire sur l'état pitoyable des trottoirs de St. John's réalisé il y a… six ans); Ian Froude, conseiller municipal pour le quartier 4; et, Anne Malone, femme aveugle militant pour un meilleur déneigement.
Chacun leur tour, ils ont exprimé leurs inquiétudes principales, notamment le manque de perspectives alternatives au conseil municipal, le manque de budget alloué au déneigement (soit 16 millions de dollars en tout et à peu près 1 million de dollars pour les trottoirs), la quasi absence de discussion dans certains quartiers moins piétons et l'insuffisance de données pour bien cerner cette problématique.
Des pistes de solutions
Ensemble, ils ont proposé une série de solutions possibles. Elizabeth Yeoman a suggéré qu'on fasse la connection des sentiers piétons entre eux et avec les artères principales de la ville. Anne Malone racontait combien il lui est difficile, depuis la tombée des toutes premières neiges, de se déplacer tant avec sa canne qu'avec son chien guide, puisque la canne demande un trottoir plat et dur et que les repères habituels de son chien sont tous... sous la neige et la glace. Elle est forcée de faire appel à GoBus et aux services de taxis. Selon elle, « il faut qu'on répande plus de sel pour déneiger ça jusqu'au béton! » [traduction]
Cependant, comme l'a expliqué Ian Froude, avant de pouvoir mettre en place ces solutions, il faudrait beaucoup plus de personnel, d'équipement et de ressources que ce qui est actuellement à la disposition de la Ville. À son avis, il faut privilégier une approche plus proactive à l'avenir, dans le but d'atteindre, un jour peut-être, le déneigement complet des trottoirs.
À l'heure actuelle, le déneigement n'est prévu que pour 161 des plus de 2000 kilomètres de trottoirs à St. John's, soit moins de 10 %. On privilégie ceux qui avoisinent les routes prioritaires de niveau 1, c'est-à-dire celles menant aux écoles et aux hôpitaux, celles du centre-ville et celles aux alentours de l'Université Memorial.
Par contre, le déneigement des rues prime toujours et celui des trottoirs arrive bien après, souvent plusieurs jours après les chutes de neige. À la mi-février, certains trottoirs de rue passantes du centre-ville, telle New Gower célèbre pour ses maisons colorées, n'avaient vu passer aucune déblayeuse depuis la première tempête de décembre 2019. C'est loin des 60 à 100 % de déneigement des trottoirs qu'on retrouve dans des villes comparativement enneigées, comme la ville de Québec, a souligné Elizabeth Yeoman.
Un enjeu de santé publique
Daniel Fuller a qualifié d'inacceptable le ratio 16 millions / 1 million des budgets de déneigement des routes et des trottoirs. Conscient des limites budgétaires de la Ville, il a suggéré que le gouvernement provincial soit impliqué, parce que la situation actuelle est dangereuse pour la santé, ce qui engendre des coûts pour la province.
Pour monsieur Fuller, la résolution du problème des trottoirs, puisqu'elle permettrait aux gens de marcher, entraînerait une amélioration de la santé générale en permettant des modes de vie plus actifs et en diminuant le nombre de voitures sur les routes, ce qui voudrait dire des économies pour la province. De là l'intérêt d'interpeller la province : « Terre-Neuve-et-Labrador est gagnante du concours des plus hauts coûts en santé! Le gouvernement provincial doit prendre sa part de responsabilité! » [traduction]
Cherchant à savoir pourquoi certaines rues très à-pic près du centre-ville et fortement peuplées, souvent de gens âgés ou défavorisés, ne sont pas une priorité pour la Ville de St. John's, le Gaboteur a interrogé le conseiller municipal Ian Froude. Il nous a expliqué que, pour la Ville, ces endroits présentent un danger moindre de collisions, étant donné le plus petit nombre de voitures qui y circulent, alors que les rues du centre-ville et près de MUN sont très achalandées. Il a tout de même reconnu le malheur de la situation et dit qu'il travaille à résoudre le problème.
D'après Maggie Burton, conseillère générale de la Ville, il faut absolument revoir les priorités de déneigement à St. John's. Il n'y a pas que les écoles et les hôpitaux qui importent. « Il faut aussi tenir compte de la densité de la population et des données, du recensement ou autres, nous montrant où les gens marchent, où les gens prennent l'autobus et où se trouvent nos voisins les plus vulnérables », nous dit-elle. [traduction] Ian Froude semblait bien d'accord avec elle à cet effet.
Le conseil municipal est à l'écoute, mais les consultations sur cet enjeu en particulier présente un défi : dans les quartiers où beaucoup de gens conduisent, il y a peu de rétroaction, alors que dans les quartiers plus piétonniers, ironiquement, les gens les plus affectés par l'état des trottoirs ne peuvent pas toujours se rendre aux consultations, étant donné la neige et la glace. Les conseillers demandent donc aux gens inquiets de continuer à faire part de leurs revendications et d'interpeller les politiciens à chaque palier de gouvernement et sur toutes les tribunes.