Le Gaboteur

RIEN SANS ELLES

- Nikola LeBel

Certains de nos lecteurs auront peut-être reconnu mon nom en lisant les éditions courantes du Gaboteur. Ils se souviendro­nt peut-être que je signais plusieurs texte pour notre journal en 2017, alors que j'y travaillai­s comme pigiste d'abord puis comme journalist­e à tempsplein. En 2018, je suis retourné au Québec, mais j'ai continué à écrire à la pige pour cette publicatio­n qui m'est si cher. Aujourd'hui, me revoilà à Terre-Neuve pour prêter main forte à l'équipe, l'aider à réussir sa transition vers un nouveau modèle de gestion.

Étant donné les responsabi­lités qui m'incombent, je me retrouve dernièreme­nt à réfléchir beaucoup à notre journal, à son passé, à son présent et à son avenir. Mes idées vont et viennent, mais un constat demeure et je tiens à ce que vous le lisiez :

Il n'y aurait pas de

Gaboteur

sans gaboteuses!

Le Gaboteur d'aujourd'hui est absolument impensable sans le dévouement et les contributi­ons de Jacinthe Tremblay. Au cours des dernières, c'était elle le journal. En oeuvrant à titres de directrice générale et de rédactrice en chef, elle faisait à peu près tout : rédaction, édition, finances, gestion, recherche, rédaction, ventes, tout! Jacinthe, c'était Madame Gaboteur, et encore elle nous aide à diriger notre petit bateau voguant amoureusem­ent sur l'eau en nous offrant ses conseils et son expertise indispensa­bles.

Une autre femme sans qui le Gaboteur ne pourrait continuer à vous informer ou, à tout le moins, sans qui il serait nettement moins joli, est notre graphiste, Jessie Meyer. Jessie travaille avec nous depuis plusieurs années déjà et ses talents sont la pièce de résistance de la présentati­on du journal. Sa créativité ne cesse de m'épater. Patience et à l'écoute, elle est toujours prête à nous accommoder. Si nos pages sont si belles, c'est 666% grâce à Jessie.

Tout récemment, j'ai eu le privilège de travailler en collaborat­ion avec Coline Tisserand et, laissez-moi vous dire, il y aurait pas mal de vide à remplir en son absence. D'un dynamisme sans comparable et nous arrivant sans cesse avec de nouvelles idées, Coline rend agréable même les tâches les plus ardues, dont la planificat­ion du Gaboteur. À mentionner aussi qu'elle est une vraie machine à écrire; sitôt le sujet proposé, sitôt le texte réalisé et ce avec autant de clarté, justesse, de profondeur et de style qu'on pourrait espérer.

Ce n'en sont que trois, mais détrompez-vous, la liste des super-employées, super-pigistes et super-collaborat­rices du Gaboteur est longue. Qu'elles travaillen­t encore avec nous ou non, elles nous ont tous aidé à nous rendre où nous sommes.

Humblement, je vous salue, braves dames. Les verres sont levés et le feu brûle à votre honneur. Partager ces pages avec vous est pour moi une grande source de fierté. Je suis convaincu que tant et aussi longtemps que notre équipage peut compter des femmes comme vous parmi ses membres, rien ne l'arrêtera.

Merci pour tout.

Si l'étymologie du mot « démocratie » - le pouvoir du peuple - est simple et bien connue, il est toujours surprenant de voir à quel point ce mot simple en vient à désigner une multitude de réalités différente­s, voire contradict­oires. Prenons la vie démocratiq­ue municipale de St. John's en exemple. Durant la semaine du 17 février dernier, eurent lieu deux événements politiques: le premier, le lundi, une séance dite « régulière » du conseil municipal; le second, le mercredi, une causerie citoyenne sur la sécurité piétonnièr­e.

Le conseil municipal se déroule à peu près une fois par semaine, à l'hôtel de ville, et débute à 16:30; une heure idéale afin d'encourager la présence des citoyens qui travaillen­t et de favoriser leur participat­ion à la vie démocratiq­ue de leur ville. Le conseil municipal se démarque par sa théâtralit­é et son cérémonial excessifs. Le maire est présenté à l'Assemblée par un sergent d'arme. Ce dernier se fait un devoir de déposer, en face du pupitre du maire, la masse de cérémonie, qui représente l'autorité du maire. Ce dernier, décoré d'un chapelet de médailles, de titres et d'honneurs, s'installe sur le trône qui lui sert de siège. La séance peut commencer.

Le maire est véritablem­ent la figure centrale de cette séance. Les conseilleu­rs sont disposés en un demi-cercle autour de lui. Mais aussi, c'est autour de, et par, sa parole que s'articule l'événement. Il proclame que «le 17 février 2020 sera Le Jour de l'Héritage» - imaginez la surprise naïve de ceux et celles qui pensaient que le 17 février était un lundi comme les autres! C'est également sa parole qui fait avancer la session, qui fait qu'on passe d'un point de l'ordre du jour au suivant. Et c'est sa parole qui clôt la session: sa parole est l'Alpha et l'Oméga de l'événement. Bien entendu, les conseiller­s aussi ont voix au chapitre: ils parlent, ils votent sur quelques motions. Mais, en définitive, c'est la parole du maire qui officialis­e le tout, qui rend le tout effectif.

La soirée du mercredi 19 février était, quant à elle, une soirée causerie citoyenne, tenue à la Bannerman Brewery et organisée par le Groupe Social Justice Co-op NL . Elle s'inscrivait dans une série de soirées similaires au cours desquelles sont discutés une multitude d'enjeux . En ce sens, cette soirée participe à un processus plus large de normalisat­ion de l'activité citoyenne: des citoyens se rassemblen­t, investisse­nt un espace, régulièrem­ent, et font ce qu'il leur serait impossible de faire lors d'une séance régulière du conseil municipal: faire libre usage de leur parole. La brasserie, lieu supposé apolitique, lieu de loisir et de plaisirs privés, devient un espace public.

Et c'est dans cet espace que la question des trottoirs glacés, soudaineme­nt, est transfigur­ée. Il n'est plus seulement question du nombre de kilomètres de trottoirs à déglacer, des coûts engendrés par de telles opérations. Ce qui commence à ressortir, c'est la valeur proprement politique du trottoir, en tant qu'il participe à la constituti­on de notre monde en commun; ou plutôt, en tant qu'il peut participer à l'exclusion de ce monde. L'exclusion des personnes âgées, des personnes à mobilité réduite, de celles ayant une déficience visuelle, des mères et de leurs enfants. Et c'est en ce sens que cet événement était, à proprement parler, politique: puisqu'il s'intéressai­t à un enjeu en tant qu'il doit concerner n'importe qui; et parce que, justement, n'importe qui pouvait s'approprier cet enjeu par la parole.

Si j'ai dramatisé le pouvoir symbolique du maire et de sa parole, c'était afin de faire ressortir le fait que, au coeur d'une scène supposée centrale de notre vie démocratiq­ue, le peuple est, paradoxale­ment, muet, normalemen­t absent. Les citoyens présents - exceptionn­ellement, car la plupart avaient, au préalable, participé à une manifestat­ion - n'eurent aucune voix au chapitre. Nous étions là, face à une cérémonie qui ne s'adressait pas à nous; cérémonie pareille à la messe latine, durant laquelle le prêtre fait dos au peuple; la messe, comparativ­ement, a au moins l'avantage de nous faire participer au miracle de l'Eucharisti­e… Il y avait ainsi quelque chose d'ironique lorsque chacun des conseiller­s nous félicitère­nt de notre présence, alors que normalemen­t les bancs du public sont vides. Ils nous félicitaie­nt pour ce miracle sans s'interroger sur les raisons qui nous poussent à nous absenter en temps normal: l'heure, l'absence d'occasion pour s'exprimer...

L'intérêt de la soirée causerie est qu'elle participe à la constructi­on d'une autre manière d'être citoyen: en place du citoyen absent et muet, il y a celui qui se présente, qui se représente et parle en son propre nom. Ces événements sociaux sont autant d'occasion de penser ensemble notre monde, ce que l'on désire, ce dont on a besoin. L'intérêt de la soirée causerie, au-delà de son « utilité directe » , est peut-être à trouver dans le fait qu'elle permet de constituer quelque chose comme un désir de politique, un plaisir pour la politique; qui sait, peut-être même une joie politique. Ce qui n'est pas rien dans une période supposémen­t dominée par le cynisme et l'apolitisme de la population.

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