Le Gaboteur

Comment ça va?

- Propos recueillis sur Skype par Coline Tisserand

Ça va bien ! Après la « folie » de Rex [son travail sur le plateau de tournage de Rex sur le plateau de Hudson & Rex] où j'avais énormément de travail, j'ai travaillé sur une série française, Maroni, avec une équipe française qui est venue tourner à Saint-Pierre-et-Miquelon et à St. John's.

J'imagine que depuis le début de la pandémie, ton travail au cinéma a été arrêté?

En fait, j'avais déjà prévu d'arrêter pour quelques mois avec le tournage sur Rex. Je suis rentrée chez moi ici à Trinity East, et ensuite il y a eu le shutdown… J'avais donc déjà prévu de rester chez moi pour faire une pause avec le travail intense sur les tournages avant tout ce qui est arrivé.

Justement, qu'est ce que la pandémie a changé pour toi ?

C'est tellement isolé ici l'hiver, tout est fermé: les restaurant­s, les choses touristiqu­es... À part l'épicerie où il y a les normes sanitaires et tout cela, ça ne change rien. D'habitude, je ne vais pas à l'épicerie tous les jours. Quand je reviens à Trinity, je fais des réserves de toute façon. J'amène tout de St. John's, autant que possible…En ce moment, il y a un peu moins de fraîcheur au niveau des légumes et des fruits, c'est un peu dur parfois.

Et au niveau de tes projets, qu'est-ce que la crise a changé ?

Un ami qui est sur son bateau dans les Antilles devait venir chez nous pendant que mon mari et moi serions partis en Espagne. On a dû annuler ce voyage et lui est resté sur son bateau. J'étais tellement fatiguée à la fin de mon travail sur les plateaux, c'était comme mon rêve de faire l'ermite dans ma maison à Trinity. Je me sens un peu égoïste de dire cela, car je sais qu'il y a d'autres personnes qui sont dans une mauvaise situation en ce moment. Parfois, je me sens mal «d'être bien ».

Au niveau profession­nel, je devais aller à Toronto pour faire partie du syndicat, pour faire des films et trouver des projets de tournage là-bas, mais maintenant, c'est compromis...Le cinéma et la distanciat­ion, ça ne va pas vraiment ensemble. Je sais que les gens travaillen­t très fort pour trouver des solutions, mais je ne sais pas comment on va faire pour reprendre les tournages, car on est souvent plus de cinquante sur un même plateau. Il va falloir réinventer complèteme­nt la façon de faire du cinéma, à court terme au moins.

Comment se passe la vie dans ta communauté, composée d'une cinquantai­ne d'habitants?

Si quelqu'un a besoin de nourriture, on s'entraide quand même, mais c'est un peu différent d'avant, on le fait en respectant les mesures de distanciat­ion. Les gens s'aident, et à chaque fois que quelqu'un va faire les courses à Clarenvill­e, à 45 minutes du village, il l'annonce sur le groupe Facebook de la communauté pour savoir si quelqu'un a besoin de quelque chose. À quoi ressemble ton quotidien à Trinity East?

J'essaie d'avoir une routine quotidienn­e. Je reçois quelques petits contrats en graphisme pour des compagnies de St. John's. Quand il fait beau, on peut aller marcher, j'habite tout près du Skerwink Trail, et les icebergs commencent à arriver en ce moment ! Sinon, je rénove ma maison, c'est le meilleur moment pour le faire, je sable les planchers au troisième étage, le dernier! Ça fait passer le temps, parce que parfois, au début surtout, j'avais un sentiment de claustroph­obie. C'est la première fois qu'on n'a pas la liberté de faire ce qu'on veut et qu'on doit tous rester chez soi. C'est bien d'être chez soi, mais en même temps, c'est bizarre comme situation. Je crois qu'on est mieux à Terre-Neuve qu'ailleurs, car il y a moins de monde, il y a déjà un éloignemen­t naturel.

Qu'est-ce qui t'inquiète pour l'avenir?

Même si j'entends aux nouvelles qu'il n'y a aucun problème et qu'on va avoir de la nourriture, je suis inquiète par rapport à une possible pénurie. Et s'il n'y a plus rien qui est produit et livré? Ici, j'ai beau partir mes plants de tomates à l'intérieur, ça ne me donnera pas de tomates en hiver et très peu en été. Pourtant, ceux qui vivaient dans cette maison avant nous, ils ont toujours été autosuffis­ants, ils n'avaient pas de réfrigérat­eur, ils fonctionna­ient avec le root cellar pour entreposer leurs légumes.

Tu penses que cette crise te poussera à être plus autosuffis­ante ?

Quand on est parti du Québec pour venir ici, il y avait un peu cette idée d'être dans la nature et de se débrouille­r au maximum, mais finalement, une fois arrivés ici, mon mari et moi avons eu tellement de travail dans le cinéma que le projet a pris le bord. Mais aujourd'hui, avec la situation, c'est sûr qu'on reconsidèr­e les choses. J'essaie d'acheter des produits locaux, j'ai eu le temps de faire ma recherche pour savoir qui vend du miel, du poulet dans la province… Ce genre de projet était déjà dans mes plans, mais je l'avais mis en pause avec le travail. Je pense que cette situation nous mène à un retour aux choses et je pense que c'est bien, on va continuer. ll faut revenir à la base, on n'est plus habitué à s'occuper de notre survie : manger, se chauffer ....

Est-ce qu'il y a des choses dans ce contexte présent qui te donnent l'espoir pour l'avenir?

Je ne suis pas très optimiste, je crois, cela dépend des jours. Ce qui me fait le plus peur, c'est que les gens ne changent pas, et qu'ils se disent qu'il faut continuer comme avant et rattraper le temps perdu. Cela me fait peur, car on voit bien qu'on ne va pas dans la bonne direction. Il faut que ça change, mais est-ce que les humains vont vraiment accepter de changer? J'ose espérer que les gens reprennent goût à cuisiner et à prendre le temps. Je pense qu'il faudrait que tout le monde ralentisse. En tout cas, j'ai l'impression que les gens essaient de faire plus attention à eux, et à leur santé mentale. Après cette crise, il faut repartir comme il faut, si on ne veut pas que ça nous arrive à nouveau.

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Photo : Courtoisie de Julie Raymond Julie Raymond profite du confinemen­t pour continuer la rénovation de sa Salt Box à Trinity East.
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Photo : Courtoisie de Julie Raymond Le premier iceberg est arrivé à la porte du village de Julie Raymond.

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