Le Gaboteur

Campagne mondiale de vaccinatio­n contre la COVID-19 : que fait le Canada?

- Bruno Cournoyer Paquin FRANCOPRES­SE

FRANCOPRES­SE – La COVID-19 se propage sans égard pour les frontières. La fin de la pandémie semble donc conditionn­elle à une campagne de vaccinatio­n mondiale efficace. Pour illustrer les efforts du Canada dans cette campagne, la ministre du Développem­ent internatio­nal, Karina Gould, souligne l’implicatio­n du Canada dans «COVAX», une initiative de l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS) visant à offrir un accès équitable au vaccin contre la COVID-19. Cette initiative sera-t-elle suffisante?

«Le Canada est le deuxième plus important donateur à COVAX, après le Royaume-Uni», explique la ministre du Développem­ent internatio­nal, Karina Gould, en entrevue avec Francopres­se. «Nous avons investi 220 millions $ pour la contributi­on canadienne pour les vaccins domestique­s, mais aussi un montant équivalent pour les pays en développem­ent.»

«[COVAX] est une plateforme qui supporte la recherche, le développem­ent et la fabricatio­n d'un grand nombre de vaccins candidats contre la COVID-19, et négocie leur prix», peut-on lire sur le site Web de l'initiative. Tous les pays membres de l'initiative COVAX auront la garantie d'un accès équitable à un éventuel vaccin.

Katrina Plamondon, professeur­e au Départemen­t des sciences infirmière­s de l'Université de la Colombie-Britanniqu­e, explique que COVAX atteint plusieurs objectifs simultaném­ent : «Il met en commun des ressources financière­s et crée un mécanisme de coopératio­n collective pour travailler avec les compagnies pharmaceut­iques. Il met aussi en commun les ressources scientifiq­ues.» «Donc, il crée une forme d'intégrité scientifiq­ue en travaillan­t collective­ment, avec transparen­ce et dans un dialogue ouvert. Il crée aussi un mécanisme de prise de décision pour déterminer comment un éventuel vaccin sera distribué», ajoute la professeur­e.

Le Canada donne-t-il trop ou pas assez?

Les sommes investies par Ottawa dans l'initiative COVAX seraient «un début», selon Alexis Brunelle-Duceppe, porte-parole du Bloc Québécois en matière de coopératio­n internatio­nale.

«Mais encore là, on ne sait pas, c'est la première fois qu'on est confrontés à une pandémie mondiale comme celle-là. On ne sait pas ce qui, au bout de la ligne, est raisonnabl­ement élevé comme financemen­t», nuance Alexis Brunelle-Duceppe.

Contacté par courriel, le bureau de la porte-parole du Parti conservate­ur en Santé, Michelle Rempel Garner, souligne que «nous ne savons pas vraiment comment les libéraux fédéraux pourront faire en sorte que le Canada contribue à la lutte internatio­nale contre la COVID-19 puisqu'ils sont incapables de gérer la pandémie ici, au Canada.»

La porte-parole néodémocra­te en matière de développem­ent internatio­nal, Heather McPherson, croit aussi que l'initiative COVAX est un bon endroit pour investir, mais soutient que les sommes consenties par Ottawa sont loin d'être suffisante­s.

Elle rappelle que le programme qui vise à donner accès aux vaccins contre la COVID-19 aux pays en développem­ent doit déjà composer avec un manque à gagner de 34 milliards $. Selon Heather McPherson, la contributi­on internatio­nale du Canada devrait au moins égaler ses investisse­ments pour acquérir des vaccins au niveau national – investisse­ments qui dépassent un milliard $ actuelleme­nt.

«C'est une opportunit­é pour le Canada de prouver que les discours qu'on a entendus de la part du gouverneme­nt sur leur engagement envers le multilatér­alisme, l'action collective et le développem­ent internatio­nal […] sont plus que des platitudes. Ça pourrait être un engagement concret», suggère Heather McPherson.

Pour Alexis Brunelle-Duceppe, «il va falloir se regarder dans le miroir quant à l'aide internatio­nale globale que le Canada envoie à l'étranger. Présenteme­nt, l'aide du Canada à l'internatio­nal, c'est 0,27 % du PIB. […] L'ONU demande que les pays développés consacrent 0,7 de leurs PIB à l'aide internatio­nale.»

Le Canada, champion mondial des commandes de vaccins

La question de la distributi­on équitable fait partie des grandes préoccupat­ions à l'internatio­nal selon la professeur­e Vardit Ravitsky, de l'École de santé publique de l'Université de Montréal.

«À l'internatio­nal, la grande crainte est que les pays riches achètent tout ce qui est produit, ne laissant rien aux pays en voie de développem­ent et aux pays vraiment pauvres. Donc le débat éthique est de distribuer de telle manière à ce que chaque pays reçoive une quantité suffisante.»

Le Canada n'est pas en reste dans cette course aux vaccins : il a conclu des ententes bilatérale­s d'une valeur de plus de 1 milliard $ avec plusieurs grandes compagnies pharmaceut­iques, dans l'éventualit­é qu'elles produisent un vaccin viable.

«Le Canada a plus de commandes de vaccins par personne que n'importe quel autre pays du monde, c'est plus que ce dont on aura besoin», souligne la néodémocra­te Heather McPherson.

«Bien sûr, il est vitalement important de protéger les citoyens canadiens, et le gouverneme­nt joue son rôle pour que les Canadiens aient accès au vaccin le plus rapidement possible. Mais nous savons que c'est une pandémie mondiale, et tant que tous les pays n'auront pas accès au vaccin, personne ne sera à l'abri», avertit toutefois la porte-parole en matière de développem­ent internatio­nal.

Alexis Brunelle Duceppe reconnaît «qu'il y a un risque, et c'est un risque de voir le Canada être un mauvais élève» sur la scène internatio­nale.

«En même temps, il faut aussi compter l'opinion publique là-dedans. C'est sûr qu'il y a des craintes au niveau national de beaucoup de citoyens et de citoyennes au niveau du virus, et ça, il faut le comprendre», ajoute le député bloquiste.

Un jeu risqué pour le Canada

Selon Katrina Plamondon, du Départemen­t des sciences infirmière­s de l'Université de la Colombie-Britanniqu­e, ce type de jeu est risqué pour le Canada. D'abord, parce qu'il est une puissance mineure sur la scène internatio­nale et qu'il pourrait très bien être exclu du marché par de plus gros joueurs, comme les États-Unis ou la Russie.

Ensuite, parce qu'on ne peut prédire quels vaccins seront efficaces, donc investir dans des ententes bilatérale­s présente un risque élevé, poursuit la professeur­e Plamondon.

Ce «nationalis­me vaccinal» aura aussi des conséquenc­es en matière de santé publique : «Il y a des calculs et des modèles qui démontrent que si on adopte une approche “moi d'abord”, si tous les vaccins allaient aux pays développés, on pourrait voir jusqu'à 28 % plus de décès mondialeme­nt, y compris au Canada», ajoute Katrina Plamondon.

«Les décisions concernant qui est vacciné et quand sont vraiment importante­s, et la population mondiale serait mieux servie si on prenait ces décisions en gardant l'équité à l'esprit. Ça veut dire que les gens avec plus de besoins devraient avoir un accès prioritair­e, plutôt que de succomber à une foire d'empoigne qui privilégie certains pays plutôt que d'autres», explique la professeur­e Plamondon.

Pour Heather McPherson, permettre aux ententes bilatérale­s de monopolise­r le vaccin signifiera­it que certains pays en développem­ent, qui ont des population­s plus vulnérable­s, pourraient attendre deux à trois ans avant d'avoir accès à un vaccin.

«Cette pandémie ne prendra fin que lorsqu'on sera capable d'amener tous les pays [vers la vaccinatio­n]. Il y a une façon intelligen­te le faire, et une façon égoïste de le faire. Et j'espère certaineme­nt que le gouverneme­nt est déterminé à faire le choix intelligen­t», ajoute Heather McPherson. «L'objectif de COVAX est d'assurer que quand un vaccin sera disponible, il sera accessible à la plupart des gens dans le monde, soutient la ministre Gould. Le Canada était un des membres fondateurs de cet accord, justement parce que nous croyions que le monde devrait avoir accès à un vaccin lorsqu'il sera disponible. Nous sommes en train de vivre un défi global, et nous pourrons seulement le résoudre avec des solutions globales.»

Une campagne de vaccinatio­n mondiale qui soulève d'autres enjeux éthiques

Pour Vardit Ravitsky, de l'École de santé publique de l'Université de Montréal, les enjeux éthiques à l'internatio­nal sont compliqués par les inégalités structurel­les entre les pays développés et les pays en développem­ent.

L'un principe qui pourraient guider la distributi­on des vaccins est la prévention de la «mortalité précoce». Par exemple, explique la professeur­e Ravitsky, si quelqu'un meurt à 65 ans au Japon, c'est une mort précoce, parce que c'est en dessous de l'espérance de vie moyenne dans ce pays ; mais ce ne le serait pas en Tanzanie parce que l'espérance de vie y est beaucoup plus basse.

Cette notion même devient problémati­que, car «les pays plus riches ont une espérance de vie plus élevée, donc de nouveau, ça crée une priorité [pour les pays plus riches]», ajoute-t-elle.

Similairem­ent, poursuit Vardit Ravitsky, les pays qui ont déjà un fort cadre de santé publique vont être capables de distribuer le vaccin, mais les pays qui ont un faible cadre de santé publique vont être moins à même de le faire.

«Il faut trouver un équilibre très délicat entre l'efficacité [et la justice sociale], parce qu'on ne veut pas que les vaccins expirent parce qu'ils languissen­t dans un entrepôt non réfrigéré, mais en même temps, on veut garantir que ce ne soit pas que l'efficacité qui guide la distributi­on», conclut-elle.

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Photo: Daniel Schludi (Unsplash)

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