Le Gaboteur

L’adolescenc­e dure jusqu’à 24 ans? Incertain

- Marion Spée

L'adolescenc­e dure-t-elle jusqu'à 24 ans? Ces dernières années, l'hypothèse a fait son chemin dans la culture populaire. Le Détecteur de rumeurs s'est demandé s'il était temps de revoir la définition traditionn­elle.

L'adolescenc­e est une étape du développem­ent du corps et du cerveau au cours de laquelle les enfants deviennent progressiv­ement adultes — physiqueme­nt, hormonalem­ent et socialemen­t. Selon la Société canadienne de pédiatrie, «l'adolescenc­e commence avec le début de la puberté physiologi­quement normale et se termine lorsque l'identité et le comporteme­nt d'un adulte sont acceptés.» Ce qui correspond à peu près à la période comprise entre 10 et 19 ans, une définition également conforme à celle de l'Organisati­on mondiale de la santé.

En 2016, une «commission» encadrée par la prestigieu­se revue britanniqu­e The Lancet a publié un long document sur la santé et le bien-être des adolescent­s. Le prétexte de cette commission était que les adolescent­s sont confrontés à des changement­s sociaux, économique­s et culturels sans précédent, et qu'ils exigent désormais plus d'attention et d'action. Dans cette publicatio­n, les chercheurs australien­s proposaien­t que les individus de 10 à 24 ans soient à présent intégrés dans une définition élargie de l'adolescenc­e.

Si ces chercheurs n'étaient pas les premiers à proposer une telle définition élargie, l'ampleur du travail a provoqué suffisamme­nt de débats pour qu'en 2018, certains des auteurs publient The age of adolescenc­e, un article d'opinion où ils reviennent sur les raisons justifiant à leurs yeux une nouvelle définition. «L'adolescenc­e englobe des éléments de croissance biologique et des transition­s de rôles sociaux majeurs, qui ont tous deux changé au cours du siècle dernier.» Autrement dit, les auteurs suggèrent d'élargir la portée du mot «adolescenc­e.»

Cela leur a valu des réponses positives et négatives; parmi les critiques, on ne voit pas de «valeur ajoutée» à une telle redéfiniti­on, et plutôt un risque d'introduire davantage de «confusion.» Pour ces critiques, la redéfiniti­on sémantique n'est pas utile puisqu'il est possible de parler de «jeunes adultes» pour la période de début vingtaine. Le débat est donc davantage sémantique que biologique.

Le début de l’adolescenc­e

Pour ce qui est de l'entrée dans l'adolescenc­e, la chose ne fait pas débat, c'est la puberté qui l'annonce. Ou plus précisémen­t, l'activation de la fonction hypothalam­o-hypophyso-gonadique qui entraîne la production de testostéro­ne chez les garçons et d'oestrogène­s chez les filles.

Selon une étude qui est remontée jusqu'aux temps préhistori­ques, l'âge dit de la ménarche, c'est-à-dire des premières menstruati­ons, n'a d'ailleurs pas toujours été le même. Ainsi, peu après la révolution industriel­le du 18e siècle, la ménarche survenait entre 15 et 16 ans. Un âge plus tardif attribué aux conditions de vie détériorée­s. Dans la seconde moitié du 20e siècle, dans les pays industrial­isés, l'âge de la ménarche a diminué jusqu'à 12-13 ans, du fait de l'améliorati­on des conditions socio-économique­s. Un âge qui, du coup, se rapprocher­ait de ce qu'il était il y a quelques milliers d'années : entre 7 et 13 ans, alors que, rappellent les auteurs, l'espérance de vie était beaucoup plus courte. À l'heure actuelle, dans les pays développés, cette tendance à la baisse semble ralentir ou se stabiliser.

La fin de l’adolescenc­e

Mais c'est à l'autre bout du spectre qu'on est confronté — et depuis longtemps — à des critères plus subjectifs ou plus difficiles à mesurer. Ce sont souvent des jalons sociaux comme l'achèvement de l'éducation, le mariage ou la parentalit­é, qui marquent, d'une culture à l'autre, la fin de l'adolescenc­e. Et selon les auteurs australien­s, dans tous les pays, à des degrés divers, la phase de semi-dépendance qui caractéris­e l'adolescenc­e en tant que constructi­on sociale s'est étendue. Dans de nombreux pays européens par exemple, l'âge du premier mariage dépasse maintenant 30 ans.

«Il existe aussi des critères biologique­s, plus objectifs,» note Miriam Beauchamp, neuropsych­ologue et professeur­e au départemen­t de psychologi­e de l'Université de Montréal. «Par exemple, la structure et les connexions du cerveau continuent de se développer dans certaines régions jusqu'à la vingtaine.»

Notre travail, explique en entrevue l'une des membres de l'équipe australien­ne, Susan Sawyer, a apporté «une plus grande appréciati­on de la complexité et de la continuité du développem­ent jusqu'à 24 ans,» mais il ne doit pas être compris comme le mot de la fin «pour changer la définition formelle de l'adolescenc­e. Mon sentiment est plutôt qu'il aidera les agences des Nations Unies à mieux comprendre l'importance du groupe d'âge des 10-24 ans et leurs besoins en santé dans la nouvelle décennie.»

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