Le Gaboteur

L’alchimie de la légitimité politique

- Patrick Renaud Étudiant à l’Université Memorial de Terre-Neuve

Comme l'ont remarqué plusieurs commentate­urs politiques de la province, suite à son triomphe électoral, le nouvelleme­nt élu premier ministre Andrew Furey a centré son discours de victoire autour de l'idée de «boldness», d'«audace». Il faut certaineme­nt de l'audace pour qualifier les résultats de ces élections comme représenta­nt un «mandat fort» à gouverner.

Précisons les nombres, afin de savoir de quoi nous parlons. Un taux de participat­ion de 48 %. 51 % à St. John's, où l'électorat a été le plus «actif». Mais pour ce qui est de la participat­ion dans le reste de la province, elle varie entre 51 % et un famélique 37 % pour le Labrador.

Certaines irrégulari­tés procédural­es risquent de mener à des contestati­ons légales en bonne et due forme. Certains résultats feront quant à eux l'objet d'un recomptage; c'est notamment ce que fera la cheffe du NPD. À cela, s'ajoute aussi l'indisponib­ilité de bulletins de vote en langues autochtone­s, renforçant du coup leur marginalis­ation politique.

Suivant le discours de monsieur Furey, une journalist­e lui a demandé si, malgré tous ces écueils et un taux de participat­ion aussi bas, on ne pouvait pas y voir un «mandat faible». La réponse de monsieur Furey est sans équivoque: «Nous avons une majorité, un mandat clair».

Comment un même résultat peut-il suggérer à la fois un mandat faible et un mandat fort et clair? L'alchimie politique garde ici pour elle tous ses secrets.

L’ALCHIMIE POLITIQUE DE LA DÉMOCRATIE REPRÉSENTA­TIVE

Car c'est bien à de l'alchimie que nous avons affaire. Et pas seulement dans ce cas-ci, mais plus généraleme­nt dans le contexte d'une démocratie représenta­tive.

Cette dernière peut en effet être décrite comme le choix par le grand nombre du petit nombre de délégués qui gouvernero­nt à sa place, en son nom. La légitimité de ce choix repose quant à elle sur un certain nombre de principes. J'en mentionner­ai deux.

Le principe de la majorité en est un qui s'incarne dans la procédure même de l'élection: celui qui reçoit le plus de voix l’emporte.

Le deuxième principe veut que la décision du grand nombre soit «éclairée». D'où l'importance de ce temps de campagne où chaque parti présente et défend son projet à l'ensemble de la population.

Si le premier principe est arithmétiq­ue et facilement quantifiab­le, le second principe est de nature qualitativ­e, donc plus difficile à apprécier.

DEUX PRINCIPES NON RESPECTÉS

Pour ce qui est de cette élection, il semble que ces deux principes supposés fonder la légitimité du gouverneme­nt n'aient pas été respectés. D'une part, le taux de participat­ion de cette élection est le plus bas dans l'histoire de la province. Comment parler d'un mandat «clair» ou «fort» si la moitié de la population ne s'est pas exprimée - ou n'a pas pu le faire?

Monsieur Furey parlait récemment d'une nécessaire réforme électorale. On pourrait imaginer l'instaurati­on d'un seuil minimal de participat­ion afin que les résultats d'une élection donnée puissent être considérés comme valides. Une manière peut-être de ne pas fétichiser le processus électoral sans que celui-ci ne soit l'expression d'une réelle participat­ion du peuple.

Mais d'autre part, il n'est pas clair non plus que la décision du grand nombre ait été pour autant éclairée, malgré la longueur exceptionn­elle de la campagne. Lors d'une entrevue à Here and Now CBC NL1, le journalist­e a ainsi pu demander à monsieur Furey, après des semaines de campagne, la chose suivante: «Quand pourrons-nous vraiment voir comment votre vision se traduira en termes de politiques publiques?» Une question qui à elle seule témoigne de la faillite d'une classe politique à s'adresser avec sérieux et honnêteté à la population.

QUE VEUT DIRE CONSENTIR?

La population semble bien rendre à cette classe politique la monnaie de sa pièce. Un sondage récent nous disait que 97 % des répondants ne croyaient tout simplement pas aux promesses faites par les politicien­s2.

En termes de réforme électorale, on pourrait penser à rajouter une option sur le bulletin de vote: aucun de ces candidats.

L'abstention pourrait alors devenir un véritable outil d'expression politique permettant à la population de dire sa rupture avec l'offre politique du moment; une rupture qui présenteme­nt n'a aucune traduction légitime.

S'il est vrai, comme l'écrivait en 2019 Megan Gail Coles, que «votre vote, c'est votre manière de consentir»3, on peut se demander ce que vaut le consenteme­nt de quelqu'un qui d'ailleurs ne croit pas en ce à quoi il consent ou en ce qu'il fait, c'est-à-dire voter.

En ce sens, la légitimité politique réclamée par M. Furey semble reposer sur une forme de nihilisme, ce qui n'est jamais bon signe. M. Furey pourrait prendre acte de ce «mauvais signe» au lieu de se l'approprier afin de gouverner comme bon lui semble.

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L’alchimiste (1855) du peintre écossais William Fettes Douglas.

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