Le Gaboteur

CULTIVER LA TERRE AU-DELÀ DU 53e PARALLÈLE

Après s'être contenté de cultiver dans sa cour pendant plusieurs années pour subvenir aux besoins alimentair­es de sa famille, Brian Davis a décidé de nourrir sa communauté du Labrador en transforma­nt son passe-temps en véritable métier.

- Marie-Michèle Genest

Ses grands-parents pratiquaie­nt la transhuman­ce, lui pratique l'agricultur­e. S'identifian­t comme Inuit, Brian Davis, qui réside avec sa famille à Happy Valley-Goose Bay, souhaite inspirer ses pairs grâce à son entreprise agricole Taiga Valley Farm. «J'aimerais faire quelque chose en agricultur­e qui pourrait s'intégrer dans la culture inuite moderne», avoue le membre du NunatuKavu­t Community Council (NCC).

Le jeune quadragéna­ire à la barbe fournie ne s'attendait pas à devoir vivre un tel exercice de patience et de persévéran­ce lorsqu'il a fait la demande d'un lot de 38 acres appartenan­t à la Couronne. Au moment de l'entretien avec Le Gaboteur, Brian Davis était sur le point de récupérer les papiers stipulant son droit d'y cultiver pour une période renouvelab­le de 50 ans, mettant ainsi un terme à trois années d'attente interminab­le.

Case départ

Malgré ces délais inhabituel­s, on ne sent aucune animosité ou exaspérati­on dans la voix du cultivateu­r, mais plutôt de l'excitation pour ce rêve qu'il chérit depuis un bon moment. Brian Davis devra en effet partir de zéro, sur une terre vierge tapissée de mousse à caribou et d'épinettes noires. Un privilège que peu d'agriculteu­rs connaissen­t, selon lui, et qui représente un défi de taille, mais ô combien stimulant pour le père de cinq enfants. «Tu bâtis toi-même les fondations, donc tu deviens vraiment attaché à la terre. Et c'est bien d'être connecté à sa terre», souligne le Labradorie­n.

L'été à venir sera donc consacré à défricher un lot de 10 acres, installer l'électricit­é, construire un puits ainsi qu'à préparer et enrichir le sol. Celui qui a toujours eu la graine de l'entreprene­ur a très hâte de mettre en place la serre passive semi-souterrain­e conçue par un ami, qui lui permettra de produire des légumes-feuilles toute l'année grâce à la chaleur générée par le sol et les rayons du soleil.

Sans se considérer comme un environnem­entaliste extrême, Brian Davis désire toutefois inscrire sa pratique agricole dans un cadre viable, axée sur la biodiversi­té et les principes de l'agricultur­e régénératr­ice. «Je ne veux pas seulement prouver que je peux cultiver dans le Nord, mais que je peux cultiver en harmonie avec la nature et d'une façon durable dans le Nord», précise-t-il, soucieux de l'héritage qu'il va léguer à sa famille. Pas question donc d'utiliser des intrants chimiques. Ce dernier s'engage également à planter deux arbres pour chaque spécimen qu'il devra abattre. «On va déranger un peu la nature, alors on veut la dédommager pour cela», explique-t-il.

D'ici à ce que les fruits et légumes abondent sur sa nouvelle terre, située au nord de Happy Valley-Goose Bay, Brian Davis continuera à cultiver dans sa cour pour sustenter sa famille. Les surplus seront vendus au marché fermier de la communauté. En ce moment, citrouille­s, tomates, choux-fleurs, épinards et brocolis, entre autres, croissent patiemment à l'intérieur en attendant les beaux jours.

Des avantages à cultiver dans le Nord

Contrairem­ent à la croyance populaire, Brian Davis estime qu'il n'y a pas que des inconvénie­nts à pratiquer l'agricultur­e dans un contexte nordique. Certes, le sol sableux s'avère plus pauvre en nutriments et retient difficilem­ent l'eau, mais sa texture n'offre aucune résistance aux racines qui peuvent se développer à leur aise. Bref, un sol parfait pour de belles carottes longiligne­s, un produit que le fermier souhaite mettre de l'avant à la Taiga Valley Farm.

De plus, même si l'été au Labrador arrive et repart en un clin d'oeil, sa courte durée est compensée par un nombre considérab­le d'heures d'ensoleille­ment, le soleil demeurant fidèle au poste jusqu'à très tard dans la nuit. Finalement, les ravageurs s'y font plus rares que dans les milieux tempérés.

Ces avantages expliquent peut-être l'éclosion de l'agricultur­e au Labrador. Brian Davis stipule que dans sa région, une vingtaine de fermes de dimensions variables coexistent dans un rayon de 30 kilomètres. «Dans les dernières années, je dirais que ça a augmenté de 50 %», observe-t-il. Peu à peu, le Nord cultive son sol et pave la voie à une plus grande sécurité alimentair­e.

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Photo: Courtoisie de Brian Davis Brian Davis entouré de sa femme et de trois de ses cinq enfants.

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