METTRE DES RONDS DANS DES CARRÉS

Presque tout était paqueté, et étonnamment, il me restait encore plusieurs boîtes de carton inutilisées. Je les avais toutes empilées, des plus petites aux plus grandes. Alors que cette poupée russe emblématique de mes épisodes migratoires était éventuellement destinée à un bac de recyclage, mon plaisir obsessif du jeu de tétris éprouvait une satisfaction de victoire à contempler cet assemblage.

Après avoir réussi à vendre tous mes meubles à des visages familiers, il me restait à éparpiller le restant de mes biens dans des sous-sols urbains et des garages d'enfance. En complétant mes valises, un exercice de mathématique de secondaire 4 me revenait à la mémoire, où je devais maximiser le volume de mes biens en fonction des contenants à base rectangulaire, et minimiser la perte d'espace. Remplir les espaces restants avec des babioles. Mettre des ronds dans des carrés, et trouver des petits ronds pour remplir les coins.

Au fil des déménagements, les plus fidèles des boîtes étaient certainement celles de la société des alcools, garanties de résister aux poids lourds. Plus faciles à manier que les grosses boîtes du Costco, je pouvais me faufiler plus facilement dans les cages d'escalier étroites de mes ports d'attaches éphémères.

Les boîtes dont j'avais de la difficulté à me débarrasser, un coup vidées, étaient les boîtes de souliers que j'avais chaussées et qui m'avaient fait avancer, danser et courir. Même si elles ne pouvaient renfermer que de plus petits volumes, je m'attachais à ces petites boîtes de trésors, qui m'offraient un sentiment de cohérence.

Il me restait aussi des boîtes encore plus petites, celle de petits appareils électroniques, que j'avais déraisonnablement conservées. Jette-ça, c'est juste du carton, qu'une petite voix me disait, alors que je leur faisais quand même une place dans le cabanon. Je réussissais à faire taire cette petite voix à chaque fois que j'en utilisais une pour des envois postaux, en quelque sorte fière d'avoir le format adéquat.