J’ai bon goût, t’as mauvais goût
Si
j’en parle aujourd’hui, c’est que je suis tombé sur un blogue, récemment, qui revenait sur le sujet, l’auteur se demandant à son tour (je résume en mes propres mots), si la notion de goût, de bon goût, pouvait objectivement exister.
Ou si au contraire, chacun ayant ses goûts, lesquels ne se discutent supposément pas, tout le monde a raison quand vient le temps de juger un tableau, un texte, une pièce de musique, une idée. Et un vin aussi, évidemment.
J’ai toujours défendu l’idée, pour ma part, que oui les goûts se discutent.
Mais qu’à partir d’un certain point, ils ne se discutent plus.
Pour prendre un exemple simple, un individu peut très bien préférer une «peinture à numéro» qu’a faite sa femme à un Monet ou à un Rembrandt (et c’est là le niveau où, à mon avis, les goûts se discutent).
Mais entre un Monet, un Rembrandt, un Renoir ou un Chagal, les goûts ne se discutent plus, à partir du moment où tout le monde s’entend pour dire que ce sont là de grands peintres.
Idem pour un vin de pays à 8 $ que préférerait quelqu’un à un Petrus. Son goût serait, disons, hautement discutable.
Mais entre un Petrus, un Cheval Blanc et un Château Latour, on s’entend que ce sont tous là de grands vins et que chacun peut préférer l’un ou l’autre.
CRITÈRES
Mais comment savoir quand un goût, une opinion se discutent ou ne se discutent pas?
On ne réglera pas le problème aujourd’hui, mais voici, à mon sens, une bonne piste de discussion.
C’est qu’en chaque matière, comme je l’ai déjà écrit, existe un certain nombre de critères, de règles qui au fil du temps
RUBESCO 2011
ont défini le cadre, sinon l’essence de la matière en question; lesquelles règles se sont développées autant par empirisme qu’au rythme de l’évolution des connaissances techniques et scientifiques.
Ainsi, en musique, les notes correspondent chacune à une fréquence hertzienne précise, à partir de laquelle il est possible de juger si telle ou telle note est juste ou fausse.
Quelqu’un pourra très bien préférer l’interprétation d’une personne qui fausse à celle qui ne fausse pas, mais son goût est alors parfaitement discutable, à la lumière justement des règles, des mesures qui définissent ce qu’est une note juste.
En matière de vin, comme en matière d’art en général, c’est plutôt l’empirisme, c’est à dire comme le dit Wikipédia par «l’accumulation d’observations et de faits mesurables dont on peut extraire des lois générales», c’est plutôt l’empirisme, disais-je, mais aussi les pratiques culturelles locales ou sociétales qui ont défini globalement les critères d’esthétisme et de bon goût.
Critères qui, avec le temps, ont changé, ont évolué.
Et, surtout, des critères qui ont fait l’objet d’un large consensus parmi ceux qui «fréquentent» assidûment les arts, le vin, la cuisine (critiques, artistes, chefs, vignerons, oenologues…) ou tout autre domaine où le goût entre en ligne de compte.
Un type aura beau préférer une pizza hyper salée, ou un vin bouchonné, un large consensus existe qui détermine à peu près quand un plat est trop salé ou qu’un vin est bouchonné.
Cela dit, pour ne pas déclencher de crises diplomatiques avec sa femme, son chum ou sa famille durant le weekend, je dirais que dans la pratique, on dira que non, les goûts ne se discutent pas.
Mais entre vous et moi, à l’aune des connaissances généralement admises
CHABLIS 2014
dans un domaine donné et des consensus établis, il est clair que les goûts se discutent.
Ils ne se discutent plus en revanche quand, une fois que les critères d’analyse reconnus par tous sont utilisés, subsiste un ultime désaccord sur les préférences de chacun.
Rendu à ce niveau, toutes observations étant théoriquement égales, ce n’est plus la connaissance qui joue, mais l’émotion.
Et c’est l’émotion qui porte le dernier jugement. Et là, plus rien ne se discute.
Mais tout ce discours m’a donné grande soif.
À BOIRE
Chablis 2014 Domaine Louis Moreau (24 $): si beaucoup de chablis sont tendus et pas toujours évidents à apprécier en jeunesse pour les palais non avertis, ceux du Domaine Louis Moreau sont, eux, au contraire, faciles d’approche. Celuici conjugue avec bonheur la tension de la jeunesse et une matière fruitée charmeuse, avec des saveurs qui nous emmènent un peu sur le chèvrefeuille. Difficile de ne pas aimer. Rubesco 2011, Torgiano, Lungarotti (17,35 $): ce petit rouge d’Ombrie est à la SAQ depuis toujours, me semble-t-il. C’est un bon signe: on apprécie sa régularité. Joli fruit, un profil élancé, des petits tannins qui pointent (il contient un peu de Sangiovese, complété par du Colorino et du Canaiolo). C’est net, facile à boire, rafraîchissant. Falco de Neri 2009, Chianti Classico Riserva, Uggiano (24,45 $): joli nez de fleurs fanées, avec une bouche profilée, et une belle acidité. Un bon chianti presque rendu à maturité, moyennement corsé, pas particulièrement riche, mais c’est bon et ça descend bien.
FALCO DE NERI 2009