Le Journal de Montreal - Weekend

RÉFLEXION ROSE

«Avoir l’impression de faire quelque chose de bien n’est pas une raison pour se mettre un ruban rose devant les yeux» , affirme Léa Pool en espérant que son documentai­re L’industrie du ruban rose, qui sort dans une trentaine de salles vendredi, suscitera

- Denise Martel Agence QMI

« La cause est noble et on ne peut être contre la solidarité féminine. Les femmes qui participen­t aux campagnes du ruban rose pour le cancer du sein n’ont pas de mauvaises intentions, mais elles ne se rendent pas compte qu’elles sont utilisées par des grosses compagnies qui profitent amplement de ces levées de fonds, alors que très peu d’argent va à la cause », ajoute la cinéaste en expliquant qu’elle-même ne connaissai­t pas grand-chose de ce phénomène de marketing, quand la productric­e Ravida Din de l’office national du film l’a contactée, en 2009. « Aux États-unis, ce sont des milliards de dollars qui sont amassés grâce à ces campagnes, mais on ne sait pas exactement où va l’argent. Il n’existe pas de ventilatio­n et aucune coordinati­on entre les campagnes de levée de fonds, pas plus qu’il n’y en a dans la recherche. »

CAUSES TOUJOURS INCONNUES

« C’est donc dire qu’il peut y avoir plusieurs groupes de chercheurs qui travaillen­t exactement sur la même chose, alors que d’autres éléments qui pourraient mener à des solutions sont laissés de côté. Au Canada, chaque province a ses fondations, mais il n’y a pas plus de coordinati­on », explique Léa Pool lors d’un entretien téléphoniq­ue.

Elle ajoute qu’on sait, par contre, que très peu d’argent est alloué pour trouver les causes de la maladie et moins de 5 % pour identifier les causes environnem­entales. « Dans les marches, on insiste sur l’importance de trouver un médicament, mais comment peut-on y parvenir si on ne connaît pas les causes ? De plus, il y a très peu de support financier pour les femmes malades. Plusieurs en auraient grandement besoin », souligne-t-elle.

« Dans les années 1970-1980, les gens manifestai­ent pour avoir des réponses. Aujourd’hui, à la place de revendique­r, on achète des produits roses. Je ne pense pas qu’on va régler le cancer du sein en achetant de l’essence rose ! »

AMBIANCE DE FÊTE

« Je ne remets pas en question la mobilisati­on des femmes, mais sa récupérati­on par de grandes compagnies qui redorent leur image en organisant des marches festives. Le mot cancer est même parfois totalement absent.

Ce n’est pas pour rien qu’on a choisi la couleur rose, c’est totalement à l’opposé de la maladie qui est sombre... Dans une marche où je suis allée aux États-unis, j’ai vu une fois une minute de silence qui a duré... 18 secondes ! » « Quand on sait que 80 % des femmes prennent les décisions d’achat à la maison, on comprend que pour ces compagnies, c’est un public extraordin­aire. On voit comment le monde des affaires est toujours prêt à sauter sur une bonne occasion. Étonnant comme un petit ruban rose peut cacher autant de secrets et de mensonges. »

« Ce qui m’a choquée le plus, ce sont les compagnies qui tiennent un double langage. Qui donnent d’une main en supportant les campagnes et qui, de l’autre, utilisent des ingrédient­s cancérigèn­es comme c’est le cas dans plusieurs produits de beauté. C’est du cynisme à l’état pur », conclut Léa Pool.

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 ??  ?? En 1940, les risques pour une femme d’obtenir un diagnostic de cancer du sein étaient d’une chance sur 22. En 2011, ils sont de 1 sur 8 aux États-unis, 1 sur 9 au Canada. Sur tous les montants amassés pour le cancer du sein, seulement 15% va à la...
En 1940, les risques pour une femme d’obtenir un diagnostic de cancer du sein étaient d’une chance sur 22. En 2011, ils sont de 1 sur 8 aux États-unis, 1 sur 9 au Canada. Sur tous les montants amassés pour le cancer du sein, seulement 15% va à la...

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