Le Journal de Montreal - Weekend
LES VRAIS AVOCATS DERRIÈRE TOUTE LA VÉRITÉ
Bernard Dansereau et Annie Piérard, auteurs et créateurs de la série judiciaire Toute la vérité, savent bien s’entourer. Une conversation avec les trois avocats-scénaristes qui les entourent n’est pas banale. Bienvenue dans l’univers de ces verbomoteurs passionnés dont l’expérience est savamment portée au petit écran.
« Le public est plus exigeant envers les procureurs de la Couronne parce qu’ils représentent la société, avance Jacques Diamant, scénariste et procureur toujours actif. La défense a le mandat de son client, mais la société compte sur la Couronne comme maillon central de notre système de justice. » D’où l’intérêt de poser notre regard chaque semaine sur les faits et gestes des Brigitte (Hélène Florent), Dominique (Maude Guérin), Maxime (Émile Proulx-cloutier), Sylvain (Éric Bruneau) et autres. Dans un monde où les malheurs des uns font la une des journaux, où les incidents pullulent et où les grands procès font beaucoup jaser, il est d’autant plus fascinant d’en connaître les rouages. « Les gens ne regardent plus les journaux de la même façon, confirme Guylaine Bachand, scénariste et avocate en droit des médias. Dans Toute la vérité, on comprend le travail, que la matière est délicate. » Une matière première inspirée une actualité nourrissante. « Le sujet est intarissable, note Jacques Diamant. On pourrait écrire Toute la vérité pendant encore 17 ans ! »
PLAIDER POUR SA CAUSE
Première étape de création, les rencontres de brainsto dans lesquelles chaque auteur doit débattre de la cause qu’il souhaite développer. « On arrive avec des suggestions, explique Jacques Diamant. On se demande quel est l’intérêt, le challenge pour garder le spectateur. Annie et Bernard ne laissent rien au hasard. Il faut trouver des causes qui vont susciter des discussions dans les salons, les corridors. Par exemple, l’euthanasie, des gens sont pour, d’autres contre. C’est pas simple. On ne pourrait pas faire une série avec seulement des vols de banque. »
« On soumet souvent deux ou trois causes avec des énergies différentes, poursuit Guylaine Bachand. Évidemment, on développe nos idées, mais il faut aussi les simplifier. Quand j’écris une plaidoirie pour Éric Bruneau, par exemple, c’est 7-8 lignes alors que dans la vraie vie, ça peut durer deux jours. »
« Chaque fois qu’on traite d’un sujet, il doit être limpide, renchérit Patrick Lowe, scénariste et ex-procureur de la Couronne. Les notions sont complexes et doivent être comprises. J’ai toujours la jurisprudence ouverte sur mon ordinateur et je pense toujours au téléspectateur type, ma mère. »
LA RÉALITÉ DÉPASSE LA FICTION
Pas besoin de chercher bien loin pour trouver l’élément déclencheur des causes abordées. L’actualité en déborde. Récemment, plusieurs procès ont suscité l’ardeur de la population. On n’a qu’à penser aux affaires Turcotte ou Shafia. « L’affaire Turcotte a suscité la surprise et a heurté la population. On n’aura jamais abordé un tel sujet et y donner cette finalité. Il arrive souvent que la réalité dépasse la fiction, note Patrick Lowe. Je me souviens d’avoir écrit sur un enfant kidnappé dans une voiture, raconte Guylaine Bachand. J’avais lu l’histoire d’une jeune fille en Europe qui vivait séquestrée et qui n’arrivait pas à réintégrer la vie normale avec sa famille une fois retrouvée. L’intérêt est de comprendre ces comportements. Il y a un intérêt dramatiquement intéressant pour la télévision à explorer la colère d’un exvendeur qui entre dans son commerce et tire sur des inconnus, explique Jacques Diamant. » Un cas qui s’apparente à l’affaire Fabrikant. Mais tous s’entendent, aucun cas n’est reproduit. L’écriture d’une cause demande beaucoup de recherche. L’histoire de la contamination au sida, par exemple, a nécessité la lecture de plus de 80 cas au Canada avant de pondre la cause débattue en ondes.
Et des collègues de travail sont-ils dépeints dans certains épisodes ? « L’attitude de certains juges, oui, avoue Jacques Diamant. Il faut donner une couleur aux juges, ajoute Patrick Lowe. Il n’y a pas qu’une seule façon de juger. Le ton peut être jovial, d’autres ont mauvais caractère. Des types qu’on a pu voir. »
SCÉNARISTE ET CONSEILLERS
Afin de s’assurer de la véracité des propos exposés dans chacune des causes, les auteurs font appel à une banque de collègues spécialisés dans chaque domaine de la justice. Sur le plateau de Toute la vérité, un des scénariste-avocat est souvent de garde, question de répondre aux interrogations des comédiens. « Je suis agréablement surprise des questions des acteurs, avoue Guylaine Bachand. Ils ont le souci du réalisme, de faire passer des émotions vraies. Il faut encadrer d’une certaine façon les personnages épisodiques aussi, et les juges. Il y a tout un protocole à
respecter, quand se lever, quel vocabulaire utiliser. C’est très formel. Les comédiens font un travail extraordinaire, renchérit Patrick Lowe. Au cinéma, dans les films américains, c’est souvent très théâtral. »
Au début de la série, les réalisatrices et les comédiens ont passé beaucoup de temps au palais de justice. « C’était important qu’ils puissent voir la dynamique, poursuit Guylaine Bachand. Nous, on fait de la fiction, mais eux font de la très très vraie vie.
HUMANISER LE SYSTÈME JUDICIAIRE
Chaque semaine, plus d’un million de téléspectateurs suivent le quotidien des procureurs de Toute la vérité.
Pour nos avocats, c’est un grand plaisir d’ajouter un peu d’humanité à un travail qui peut paraître austère. « La série est réaliste, note Jacques Diamant. On a un souci d’exactitude. L’écriture d’annie et Bernard est limpide, les enjeux sont clairement exposés. On montre aussi qu’il y a des limites au système judiciaire comme dans n’importe quel système public. Les procureurs et les juges vivent des situations qui leur échappent parfois. C’est la nature humaine. Mes collègues le confirment, les notions débattues dans Toute la
vérité sont exactes. La seule contrainte : les délais sont plus courts. En cour c’est souvent long, note Patrick Lowe. Nous, on montre juste les meilleurs bouts. »
Adjugé !