Le Journal de Montreal - Weekend

Tout un projet pour le maire Labeaume

- Guy Fournier Collaborat­ion spéciale gfournier@journalmtl.com

Dimanche soir dernier, alors qu’à Star Académie on rendait à Gilles Vigneault un hommage qu’il mérite bien, je ne pouvais m’empêcher de revoir le week-end d’il y a plus d’un demi-siècle où, croyant faire plaisir à des collègues de l’époque, je l’avais invité à une « rencontre de poètes », à Saint-sauveur ou Sainte-adèle, je ne me souviens plus.

J’avais rencontré Gilles Vigneault à Québec avant de m’entretenir pour le magazine Perspectiv­es avec Marie-claire Blais, qui venait à 20 ans de publier La belle bête, un premier roman dont tout le monde parlait. C’est par Gilles qui la connaissai­t bien que j’avais eu ses coordonnée­s. Comme Marie-claire craignait les entrevues, il avait préparé le terrain pour moi et lui avait demandé de me faire confiance.

UNE LANGUE D’UNE AUTRE ÉPOQUE

Durant mes deux ou trois jours passés à Québec, Gilles me fait lire dans la revue Émourie à laquelle il collabore des poèmes dont l’écriture si classique me surprend. Comme il a pleine confiance en ses poèmes que personne ne s’arrache, il fonde les Éditions de l’arc pour les publier lui-même.

Je trouve Vigneault si sympathiqu­e que je le supplie de venir assister à notre rencontre annuelle de poètes. N’ayant publié qu’un recueil de poèmes, je n’ai aucune prétention de ce côté, mais je prends plaisir à ces week-ends de poésie, organisés par Jean-guy Pilon. Une vingtaine de jeunes écrivains y assistant, dont Michèle Lalonde, Fernande St-martin, Michel Van Schendel, Yves Préfontain­e, Olivier Marchand, Paul-marie Lapointe, Naïm Kattan, Olivier Mercier-gouin et d’autres encore. La plupart publient à l’hexagone, une maison qui existe toujours, et d’autres aux Éditions d’orphée.

LES VRAIS ARTISTES DOIVENT ÊTRE PAUVRES

À ces réunions dominées par la voix tonitruant­e et les éclats de rire explosifs de Gaston Miron, on règle les problèmes du monde, on casse du sucre sur l’union nationale depuis trop longtemps au pouvoir, on crie bien haut nos frustratio­ns d’intellectu­els incompris, puis on étale notre horreur à l’endroit des traîtres de la plume qui s’abreuvent aux mamelles généreuses de la télévision. Un bon artiste se doit d’être pauvre !

Personne ne s’intéresse à Vigneault. Étant déjà un peu suspect parce que j’écris pour la télé, je le deviens encore plus pour avoir ouvert notre cénacle si sélect à ce provincial moyen-âgeux qui, loin de faire de la poésie moderne libre et sans rimes comme nous le faisons tous, écrit encore comme Ronsard et Joachim du Bellay !

ÊTRE INCOMPRIS, C’EST UN « MUST »

De plus, cet homme d’une autre époque écrit des poèmes que tout le monde comprend, parle de Natasquan qu’on ne connaît pas, de ses parents et de sa famille. Il pousse même la trivialité jusqu’à chanter Jos Montferran­d et les amours malheureus­es d’un certain Jack Monoloy. Nous, on écrit des poèmes beaucoup plus relevés, issus tout droit de nos états d’âme et sortis de notre « moi profond », selon la merveilleu­se expression de Sonia Benezra. Personne ne les lit, mais n’est-ce pas là une preuve irréfutabl­e de leur valeur ? Quand on est poète, être incompris et ignorés, c’est un premier standard de qualité!

Je ne sais pas si Gilles se souvient de ce week-end manqué dans les Laurentide­s, mais si je le rappelle, c’est pour qu’on sache que certains de ceux qui l’encensent ont d’abord commencé par le snober. Aujourd’hui, plus personne ne peut mettre son oeuvre en doute et même Gilles accepte avec modestie les hommages qui se multiplien­t. Comme Félix Leclerc a déjà son autoroute, ses rues et ses salles de spectacle, comment honorera-t-on ce géant de Vigneault lorsqu’il montera au ciel ? Peutêtre qu’on pourrait lui élever un grand monument où on le verrait « le cul su’l’bord du Cap Diamant, les pieds dans l’eau du St-laurent » ? N’est-ce pas un beau projet pour vous, ça, Monsieur Labaume ?

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