Le Journal de Montreal - Weekend
L’UN DES GRANDS FILMS DE L’ANNÉE
We Need to Talk About Kevin
Film de Lynne Ramsay. Avec Tilda Swinton, Ezra Miller et John C. Reilly.
Respirez. Faites le vide. Maintenant, remémorez-vous les massacres de Polytechnique, Dawson et Columbine, lors desquels des étudiants ont froidement abattu leurs condisciples.
Maintenant, plutôt que d’imaginer l’état d’esprit du tueur, de penser à sa jeunesse ou au fait qu’il a été un petit garçon, pensez à ses parents. À ce qu’ils vivent au quotidien. Après les faits. Pensez à la mère du tueur.
Voilà ce que propose la réalisatrice et scénariste anglaise Lynne Ramsay avec We Need to Talk About Kevin, adaptation du roman du même nom de Lionel Shriver.
Contrairement aux autres récits du genre, ici, la parole est donnée à Eva Khatchadourian (Tilda Swinton), la mère de Kevin (Rock Duer, Jasper Newell et Ezra Miller à différents âges et tous excellents). On y suit, à travers des retours en arrière, sa vie depuis la conception de Kevin jusqu’à deux ans après les tragiques événements.
Petit, Kevin montre une absence d’attachement à sa mère très inquiétante. Mais Franklin (John C. Reilly), son père, ne semble pas s’en soucier. Plus les années passent, plus la relation entre la mère et son fils devient malsaine, tendue, conflictuelle...
En parallèle, on assiste aux gestes quotidiens de cette femme brisée, seule. Ses difficultés à se trouver un banal travail de secrétaire, son agres- sion par l’une des mères dont l’enfant a été tué par Kevin, le mépris auquel elle fait face de la part de l’ensemble de la communauté, y compris de ses collègues de bureau.
On sent une femme résignée à son sort. À des Témoins de Jéhovah qui viennent sonner à sa porte, elle répond qu’elle sait très bien ce que sera sa vie après la mort : « en enfer... la damnation éternelle ».
D’aucuns pourront reprocher à Lynne Ramsay ses jeux d’images et de musiques. Mais il faut se rappeler que la réalisatrice suggère plutôt que de montrer. Cette violence omniprésente et rentrée, de même que le parallèle visuel entre les gestes de la mère et les gestes du fils, sont autrement plus efficaces que de longs dialogues.
PAS D’EXPLICATIONS TRANCHÉES
Ceux qui cherchent des réponses claires seront déçus. Il ne peut pas, devant l’abominable, y avoir d’explications tranchées. La méchanceté pure de Kevin est-elle de l’acquis ou de l’inné ?
We Need to Talk About Kevin est sans conteste l’un des meilleurs films de l’année avec une force de frappe et une puissance comparable – dans un autre genre, bien sûr – à celle d’incendies, de Denis Villeneuve. Oui, Tilda Swinton s’est fait « voler » une nomination aux Oscars et probablement la statuette. La qualité et la profondeur de sa prestation n’ont, à mon avis, pas été égalées par ses consoeurs nommées.
Et je vous quitte sur ces huit mots : allez le voir, ne le manquez surtout pas.