Le Journal de Montreal - Weekend

«Bonsoir, où es-tu, là, grand papa ?»

-

Deux ou trois soirs par semaine, avant d’aller au lit, ma petite-fille Roxane, qui aura cinq ans au mois d’août, m’appelle et me pose toujours cette même question. Aujourd’hui, lorsqu’on téléphone à quelqu’un, c’est presque toujours ainsi que commence la conversati­on, puisqu’on ne peut pas savoir où se trouve son interlocut­eur.

Quand j’appelais mon grand-père, jamais il ne me serait venu à l’esprit de lui demander où il était. Puisqu’il répondait au téléphone, il était forcément chez lui. Roxane, elle, ne peut pas le savoir. Lorsqu’elle me rejoint par mon cellulaire, je peux être à la campagne, dans ma voiture et même à l’extérieur du pays.

ON AVAIT DU MAL MÊME AVEC LA LIGNE FIXE

Qu’elle puisse me rejoindre n’importe où au téléphone reste pour elle tout à fait banal. Pour moi, c’est magique. Si elle m’appelle par le biais de Skype avec le ipad de sa maman et qu’elle m’aperçoit la binette sur son écran, elle ne s’étonne pas davantage. La surprise serait plutôt de ne pas me voir. Si en s’aventurant trop loin du routeur, elle perd la connexion sans fil, elle peste ou tape du pied. Quand j’étais enfant, même la ligne fixe de téléphone n’était pas fiable.

Rue Saint-joseph, à Waterloo, nous étions au moins quatre familles abonnées à la même ligne. Parmi les abonnés, il y avait une commère, une « vieille fille » (tiens, les vieilles filles aussi, c’est disparu !), qui nous engueulait si on occupait la ligne plus de quelques minutes. Pourtant, elle l’accaparait plusieurs heures par jour. Un jour, mon père qui voulait rejoindre le docteur d’urgence avait dû s’habiller pour aller chez elle l’enjoindre de « lâcher » la ligne !

ENFIN, LES ÉMISSIONS POUR LES ENFANTS

Jusqu’à ce qu’ils finissent par aller à l’école, ma femme attendait avec impatience l’heure de Bobino et de La boîte à Sur

prise, car, en fin d’après-midi, elle pouvait enfin les asseoir devant le tout petit écran du gros téléviseur Philips. Pendant une heure et demie, ils étaient sages comme des images. Quand Roxane s’assoit devant le téléviseur, c’est en général pour regarder un film sur DVD. Souvent pour la Xe fois ! Elle commente les situations avant qu’elles ne se déroulent.

Le soir, si elle accepte de se coucher sans rechigner, elle a la permission de visionner un dessin animé sur le ipad. Quand nous nous couchions sans faire d’histoire, mon jumeau et moi, maman nous refilait les bandes dessinées de

L’action catholique, le seul quotidien que nous recevions à la maison. Mais pourquoi tous ces livres ? Je me demande bien comment Roxane pourra dans quelques années comprendre le monde dans lequel j’ai vécu. Qu’est-ce que je pouvais bien faire de ces encyclopéd­ies et de ces dictionnai­res, alors qu’on trouve sur Internet toutes les informatio­ns? Quelle est l’utilité de ces longues rangées de CD sur des tablettes quand il y a des milliers d’heures de musique sur un minuscule ipod ? Tous ces magazines empilés sur les tables ne sont qu’un grain de sable dans un ipad.

Il y a une quinzaine, la municipali­té faisait la collecte de tout le matériel informatiq­ue désuet. J’en ai profité pour me débarrasse­r de tout le fourbi que je gardais au cas où : trois « tours » d’ordinateur avec leurs moniteurs, quatre claviers, trois imprimante­s, deux ordinateur­s portables, une demi-douzaine de souris, trois cellulaire­s et un fax.

Roxane, qui me regarde en remplir deux bacs de récu, me demande à brûlepourp­oint quelle sorte d’ordinateur j’avais quand j’étais petit. - Je n’en avais pas. - Comment tu faisais d’abord pour aller sur Internet ? me demande-t-elle, complèteme­nt médusée.

Quand je vous dis qu’elle ne comprendra rien à mon monde !

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada