Le Journal de Montreal - Weekend
CRITIQUE
LAURENCE ANYWAYS
Cadrages inspirés et magnifiques, couleurs vives, dialogues punchés et incisifs, trame sonore éclectique empruntant autant à Depeche Mode qu’à Julie Masse… Pas de doute, on est bien dans l’univers de Xavier Dolan.
Pour son premier film réalisé avec un budget important (environ 8 millions $), le jeune prodige du cinéma québécois reste fidèle au style de ses deux premiers films ( J’ai tué ma mère, Les amours imaginaires), tout en montrant de nouveaux signes de maturité.
Maturité d’abord sur le plan du scénario. Se déroulant sur une dizaine d’années (de 1989 à 1999), Laurence Anyways raconte l’histoire de Laurence (excellent Melvil Poupaud), professeur de littérature au cégep qui semble filer le parfait amour avec sa copine, Fred (superbe Suzanne Clément), la femme de sa vie.
Or, Laurence cache un secret : depuis toujours, il rêve de devenir une femme. À 35 ans, il décide de faire le grand saut et demande à Fred de rester à ses côtés pour faire face à cette épreuve, envers et contre tous.
L’AMOUR AVANT TOUT
C’est donc une histoire d’amour atypique que propose Xavier Dolan avec ce film- fleuve qui s’étire sur 2 h 39. Filmant visiblement avec une liberté totale, le jeune cinéaste s’est éclaté à fond pour offrir une fresque roma- nesque émouvante et foisonnante qui brasse des thèmes forts (amour impossible, différence, marginalité…).
Très précis et toujours inventif dans ses choix de couleurs, de costumes et de lumière, Dolan multiple les plans sublimes et les cadrages ingénieux qui font qu’on a souvent l’impression de se trouver devant une oeuvre d’art.
Au risque de verser parfois dans la démesure (ce qu’il n’évite pas), le jeune cinéaste ne se gêne pas pour multiplier les scènes oniriques, transgresser les styles, filmer ses acteurs de dos et sous des angles insolites et ne lésine pas ( encore) sur les ralentis. Laurence Anyways, c’est du cinéma, du vrai.
TENDRESSE
On retiendra particulièrement une séquence de bal puissante et jubilatoire, un échange mémorable entre Suzanne Clément et Denise Filiatrault, et une scène de retrouvailles belle et touchante entre les deux personnages principaux.
Dolan – et c’est autre signe de maturité – porte un regard tendre sur chacun des personnages de son film, même ceux qu’on ne voit que très peu. Il est d’ailleurs très bien servi par une distribution de luxe, où les Nathalie Baye, Monia Chokri, Magalie Lépine-blondeau et Yves Jacques ont tous leurs bons moments à l’écran.
Bien sûr, le réalisateur de 23 ans aurait eu intérêt à resserrer un peu son film, qui semble parfois tourner en rond et qui se perd à l’occasion dans des effets de styles plus maladroits ou moins heureux.
L’inévitable question des références visuelles reviendra probablement sur le tapis alors qu’on le comparera sans doute encore à Visconti, Fellini, Wong Kar-wai ou Almodovar. Pourtant, avec ce troisième film, Dolan peaufine un style unique qui lui est propre. On a déjà hâte de voir ce qu’il nous réserve pour la suite.