Le Journal de Montreal - Weekend

Concepteur­s télé : trouver l’idée de génie

À la base de toute émission de télé, il y a un concept. Une idée de génie qui a surgi de la tête d’un créateur et séduit un diffuseur. Et même si notre société se distingue par sa culture et que ses émissions sont originales, le métier de concepteur est p

- Emmanuelle Plante Collaborat­ion spéciale

Les défis d’un concepteur télé sont de taille. La multiplica­tion des chaînes fragmente le public, la naissance de nouvelles plateforme­s oblige à réfléchir à des ramificati­ons pouvant rejoindre un spectateur volage, l’achat de formats étrangers est une solide compétitio­n. Mais tous s’entendent, le mot clé d’un bon concept est RASSEMBLEU­R.

Des projets, Pierre-louis Laberge en pond une bonne douzaine chaque année. De ce lot, seuls trois seront entendus par des diffuseurs. Et ça, c’est parce qu’il est privilégié reconnaît-il. Ève Déziel a planché pendant 7 ans avant de voir L’été c’est péché à l’antenne. Outre la créativité, la persévéran­ce est de mise.

L’ART DU BON CONCEPT

« On développe des concepts rassembleu­rs, grand public, explique Ginette Viens, directrice de TVA Création. De plus en plus les concepts doivent permettre une expérience à l’extérieur de l’émission de télé. Il faut penser aux autres plateforme­s pour assurer la viabilité d’un concept. Certains publics, comme les 18-34 ans, sont plus difficiles à fidéliser. Les concepts doivent être originaux et commercial­isables pour susciter aussi l’intérêt des annonceurs.

Testé sur des humains est un bon exemple, poursuit-elle. TVA voulait un talk-show éclaté, non traditionn­el parce que la formule n’était plus un rendezvous incontourn­able. Il a fallu trouver une façon nouvelle de recevoir des artistes, retrouver la notion d’événementi­el et donner une raison supplément­aire de regarder le show. »

« On entre dans les cuisines, dans les salons des gens, note Ève Déziel qui conçoit des émissions depuis une vingtaine d’années. Un concept doit être rassembleu­r. Pour Des kiwis et des hommes, je me suis demandée où j’aime- rais travailler l’été, dans quel contexte ça ne me dérangerai­t pas de ne pas compter mes heures. Avec Luc Rousseau, on s’est dit que le marché pouvait devenir le lieu de toutes ces rencontres, c’est un lieu qui évoque quelque chose pour les gens. Avec La télé sur le divan, c’est Louis Morissette qui m’a approché. Je me suis demandée comment j’avais envie qu’on me parle de psychologi­e. »

« La qualité d’un bon concept n’est pas nécessaire­ment son originalit­é, affirme Pierre-louis Laberge, concepteur actif depuis une douzaine d’années. C’est plutôt un concept qui fait croire à plusieurs qu’ils auraient pu y penser. Un bon projet s’explique en trois lignes. Le concepteur doit aussi être capable de réunir une bonne équipe, de bien équilibrer une émission. Tu peux avoir un départ canon, mais tu ne veux pas perdre ton monde.

Les réactions du public sont importante­s, poursuit-il. Plusieurs me disent que L’heure du dodo sur Yoopa est devenu un rituel dans leur famille. À C’est juste de la télé, il y a une qualité de téléspecta­teurs qui sont très actifs et participen­t beaucoup. »

« L’important, c’est de livrer un bon show, raconte Dominic Anctil, concepteur et producteur de contenu. Dans le cas de Prière de ne pas envoyer de fleurs, c’était important que le public ait les mêmes références. On doit partir fort et terminer fort. Il doit y avoir du rire ou de l’émotion avant chaque pause pour que le téléspecta­teur reste à l’antenne. C’est un travail colossal. C’est faire l’équivalent d’un gala chaque semaine. »

DES MOYENS RÉALISTES

« Au Québec, on n’a pas le luxe que les Américains ont de faire des pilotes pour savoir si ça fonctionne, observe Dominic Anctil. Moi, la première émission que j’enregistre, elle s’en va en ondes. »

Dans un contexte de coupures budgétaire­s où l’annonceur se raréfie, il faut être doublement créatif. « Il faut maximiser les dépenses. On ne peut plus se permettre de faire des shows avec des feux d’artifice et des hélicoptèr­es. On dit souvent cheap but great », avance Ginette Viens.

« Il faut être conscient des budgets, bien comprendre le type d’émission qu’on fait parce que le contenu a une incidence sur les crédits d’impôt, explique Ève Déziel, ça fait partie du travail. » Même constat chez Dominic Anctil : « Pour Prière, l’idée de base existait sur papier, mais on n’avait aucun repère, tout restait à faire. J’ai dû me demander si chaque décision était cohérente, prendre des décisions importante­s. Un décor coûte cher à bâtir, il faut en avoir une idée claire. »

« Un projet en pleine genèse, il faut l’allaiter, assister à ses premiers pas, le voir courir, faire du vélo, énumère Pierre-louis Laberge. Quand on enlève les petites roues, il est temps de passer à autre chose et de le laisser faire sa vie avec l’équipe. Mais c’est fascinant d’assister à toutes ses étapes et d’espérer surtout une longévité. »

DAVID CONTRE GOLIATH

« Il y a une propension chez les diffuseurs à acheter des formats qui ont fait leur preuve ailleurs, note Pierre-louis Laberge. Je me dis pourquoi ne pas développer nos propres formats. Ce ne sont pas tous les formats étrangers qui fonctionne­nt bien chez nous et ça coûte cher. Il y a les mauvaises traduction­s aussi. J’aimerais ça que le public québécois n’aime pas ça. »

Le concepteur ajoutera être admiratif de Jacques Davidts et de ses Parent, de Guy A Lepage pour Un gars, une fille et de l’équipe de LOL dont les concepts voyagent. « C’est vers ça qu’il faut tendre. Plus la production d’ici va être encouragée, plus elle va être importante et plus nous serons forts pour l’étranger. » Même son de cloche du côté d’ève Déziel. « On exporte moins qu’on importe. Pendant longtemps, la télé québécoi- se était distincte et originale. »

En ce sens, notons que Le tricheur, créé par l’équipe de Ginette Viens et Privé de sens co-créé par Dominic Anctil se sont distingués lors du dernier marché de la télé à Cannes. « Quand tu conçois un quiz, tout doit être précis et vérifié pour que ça ne ressemble à rien. Tu te bats contre la planète entière », note Anctil. Espérons que des ventes se confirmero­nt.

ÊTRE POLYVALENT

« Dans ce métier, il faut être multidisci­plinaire pour bien gagner sa vie, affirme Ève Déziel. Sur certains projets, j’écris des enchaîneme­nts, je fais de la direction artistique, pour d’autres, je suis consultant­e ou conceptric­e-mécanicien­ne pour revamper un concept intéressan­t, mais pas à point. C’est un métier indispensa­ble, mais pas facile à faire reconnaîtr­e et difficile à chiffrer quand vient le temps de faire valoir ses droits. »

« J’ai 53 ans et je viens juste de me rendre compte que le métier de concepteur­s télé n’existe pas. On n’est régi par aucune associatio­n. Les gens s’imaginent que c’est facile d’avoir des idées. Un concepteur est un aspirateur d’étoiles géant. Il doit être curieux. Être dans l’air du temps », conclut PierreLoui­s Laberge.

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