Le Journal de Montreal - Weekend

L’HOMME QUI CRÉAIT DES SONS

S’inspirant des sons et des bruits qui l’entourent, le DJ français Wax Tailor crée des mélodies, mais surtout des histoires. De son propre aveu, il est davantage un «metteur en son» qu’un musicien. Ses chansons sont des films qu’on peut entendre et imagin

- Élizabeth Ménard Le Journal de Montréal

La réputation de Jean-Christophe Saoût, mieux connu sous son nom de scène Wax Tailor, n’est plus à faire chez lui en France. Deux disques d’or et trois nomination­s aux Victoires de la musique ont fait de lui l’un des artistes les plus en vogue des dernières années. De notre côté de l’Atlantique, toutefois, il reste du travail à faire.

L’artiste sera de passage en terre montréalai­se le 2 juillet prochain dans le cadre du Festival Internatio­nal de Jazz de Montréal. Il y présentera les pièces de son plus récent album, Dusty Rainbow from the Dark, une allégorie musicale qui raconte le pouvoir d’évocation de la musique à travers les yeux d’un enfant. «Dans le spectacle, il y a toute une mise en scène autour des images, indique le DJ. J’ai travaillé sur la création des vidéos avec 20 réalisateu­rs. On a fait du gros travail durant une dizaine de mois. C’est la même trame que l’album, mais avec des univers très éclatés, du stop motion et même de l’animation.» Les 22 pièces de Dusty Rainbow from the Rain sont soutenues par une narration de Don McCorkinda­le, un acteur qui a fait les beaux jours des feuilleton­s radiophoni­ques dans les années 60 et 70.

METTEUR EN SON

Le processus de création de Wax Tailor n’est pas convention­nel. Au lieu de mettre en musique des mots, il laisse les sons lui inspirer des histoires. Lorsqu’il entend un son qui pique sa curiosité, le DJ l’isole, le travaille, le déconstrui­t et le reconstrui­t jusqu’à ce que celui-ci lui chuchote quelle voie suivre. «C’est souvent le son qui dirige la mélodie. Je me dis: “Tiens, je vais l’extraire, essayer de reconstrui­re une gamme, un clavier”. Le déclencheu­r est la petite fenêtre vers l’imaginaire et, à partir de là, je continue à broder», explique JeanChrist­ophe.

Dans la forme comme dans le fond, ses créations s’inspirent ouvertemen­t du cinéma. «C’est quelque chose qui me suit beaucoup par rapport à la scénarisat­ion. Je dis souvent que je suis un “metteur en son” parce que c’est ce qui résume le mieux ma démarche musicale, racontet-il. Le plus important, quand je fais un disque, c’est que j’aie envie de le réaliser.» Alors que le monde de la musique est dominé par la culture du single, Wax Tailor nage à contre-courant. Derrière chaque album, il y a une réelle intention de cohérence artistique.

AU DIABLE LES MAJORS

Avec son succès des dernières années, Jean-Christophe a de quoi rire dans sa barbe. En 2004, lorsqu’il a envoyé la maquette de son premier album aux maisons de disques, personne n’a voulu de lui. Son histoire est un véritable cliché: il a monté sa compagnie de disques, autoprodui­t son album et suivi sa propre voie pour finalement se rendre compte qu’il y avait un public pour son art. «Les compagnies de disques ne veulent pas prendre de risques. Comment faire pour toucher le plus de personnes possible? Niveler vers le bas. Mais moi, j’ai toutes les libertés, affirme-t-il. Ça démontre qu’on a trop tendance à anticiper sur le goût des gens», estime l’artiste. Sans avoir cherché à se venger, Jean-Christophe avoue tirer plaisir de la situation présente. «C’est sûr que j’ai une satisfacti­on au regard de tout ça. J’ai presque envie de dire merci, parce que ça m’a permis de me construire. Pour cet album [ Dusty Rainbow from the Dark], j’avais des propositio­ns de tous les majors. J’ai la satisfacti­on de pouvoir dire non, parce que, au moment où j’avais besoin d’eux, ils n’étaient pas là», explique-t-il.

L’indépendan­ce a toutefois ses limites. Wax Tailor, qui en sera à sa quatrième visite à Montréal, n’est pas très connu dans la Belle Province. «On ne peut pas être au four et au moulin en même temps. J’ai les moyens limités d’un indépendan­t», concède-t-il. Le DJ se dit toutefois heureux de pouvoir se produire devant un public qui n’est pas nécessaire­ment averti.

UNE LANGUE MUSICALE

Malgré toutes les barrières imposées à la musique anglophone dans les pays francophon­es, en France comme au Québec, Jean-Christophe a choisi de s’exprimer en anglais. «C’est ancré dans ma culture. Mes premiers intérêts en musique ont été le hip-hop et la musique afroaméric­aine, explique-t-il. J’aime la langue française, mais on a tendance à mettre le chanteur à l’avant et à faire les arrangemen­ts autour du texte. En anglais, c’est différent, il dialogue au travers de la musique. Le paradoxe peut paraître étonnant, mais j’arrive à prendre de la distance, à remettre la langue anglaise dans une position d’instrument. J’arrive à écouter sans m’accrocher au contenu», confesse l’artiste.

Wax Tailor est en spectacle extérieur gratuit le mardi 2 juillet sur la scène TD de la place des Festivals.

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