Le Journal de Montreal - Weekend

LA VRAIE BONNE AVENTURE

C’était audacieux pour l’époque. Nous sommes en 1982. Radio-Canada programme un téléroman mettant en vedette quatre jeunes femmes modernes aux préoccupat­ions actuelles, voire avantgardi­stes, écrit par une ex-ministre péquiste. C’est le début de La Bonne

- Emmanuelle Plante

«Quand j’ai quitté la politique, relate Lise Payette dont le parcours tant à la radio, à la télévision qu’en politique a été marquant, les primes de séparation n’existaient pas. Je me suis demandée ce que je pouvais faire. Je sais parler et je sais écrire. Il était hors de question que je retourne à l’animation à RadioCanad­a étant donné ma carrière politique, ça aurait créé un scandale!»

«Je me suis souvenue qu’à l’époque où j’animais Appelez-moi Lise nous avions des cotes d’écoute encore plus élevées les soirs de téléromans populaires. Alors, j’ai eu envie d’écrire. Et comme Solange Chaput-Rolland (députée libérale sortante et grande communicat­rice) venait de soumettre Monsieur le ministre, La Bonne Aventure a pu être acceptée sans créer de remous.»

C’est ainsi que sont nées Martine la voyageuse battante, Michelle la femme trompée en quête de liberté, Anne la mère de famille convention­nelle qui reprend son autonomie et Hélène la carriérist­e indépendan­te.

LA PAROLE AUX FEMMES

«J’avais l’impression que les femmes faisaient du progrès dans leur tête, mais pas au quotidien, note l’auteure qui a notamment été Ministre de la Condition de la femme. Je voulais montrer des femmes actuelles, actives, qui sont sur le marché du travail.»

Ainsi, la fiction devenait tout aussi percutante, sinon plus dans certains cas, que les années en politique.

«C’était des années de revendicat­ions, se souvient la comédienne Michelle Léger. Les femmes voulaient s’émanciper. La Bonne Aventure prouvait qu’elles pouvaient prendre leur place. Madame Payette a révolution­né les personnage­s féminins en les sortant de leur cuisine, en leur faisant prendre des décisions, avoir une indépendan­ce. Les filles de La Bonne Aventure prenaient leur vie en main.»

«Madame Payette était en avance sur son temps, ajoute Nathalie Gascon qui interpréta­it Martine. Elle a abordé la monoparent­alité notamment. Mon personnage avait des enfants de pères différents. Ça ne se voyait pas à l’époque. C’était un peu comme La galère des années 80.»

«La diffusion de La Bonne Aventure a beaucoup résonné. Elle a donné à la femme sa pleine envergure, sa place dans la société, poursuit Christiane Pasquier dont le personnage de mère au foyer a beaucoup évolué en quatre saisons. J’étais à l’époque en pleine crise par rapport à mon métier d’actrice. Je me demandais à quoi je servais. Quand j’ai su que Madame Payette venait d’écrire un téléroman sur les femmes, j’ai tout de suite voulu la job. Je me suis dit là je vais être utile à quelque chose.»

NOUVELLES VENUES

Christiane Pasquier avait tenu quelques rôles dans La petite patrie ou Du tac au tac. Mais La Bonne Aventure mettait vraiment de l’avant quatre jeunes femmes dans la trentaine.

«J’ai fait plusieurs appels à Radio-Canada, suis finalement tombée sur la réalisatri­ce Lucille Leduc qui m’a fait passer l’audition et m’a offert le rôle. Faire partie d’une série est un privilège. Je pouvais gagner ma vie et en plus j’avais l’impression de faire partie de quelque chose socialemen­t parlant.»

Lorsque Michelle Léger a été appelée à l’audition, c’était d’abord pour le rôle d’Hélène, l’avocate célibatair­e. À la lecture du texte, la comédienne se sentait plus près du personnage de Michelle et a demandé d’être reçue pour ce rôle. «Je vivais moi-même une séparation. Elle me rejoignait dans mes émotions. J’ai donc obtenu le rôle. Je l’ai su lorsque l’on m’a appelé pour que je donne la réplique aux auditions d’Hélène.»

C’est Joanne Côté qui aura le rôle.

Michelle était secrétaire. Son mari photograph­e voyageait beaucoup. Quand elle découvre qu’elle se fait tromper, Michelle entreprend des démarches pour divorcer et avoir la garde de son fils. «Elle était tourmentée, insécure, avait un côté enfant gâtée, préoccupée par les apparences. Mais elle est devenue combative et voulait son indépendan­ce», note Michelle Léger.

Nathalie Gascon sortait de l’École de théâtre lorsqu’elle a passé l’audition. Elle avait fait de la scène, mais avait très peu d’expérience devant la caméra. «Je ne me trouvais vraiment pas bonne la première année! J’avais tellement de tension dans les yeux! Martine était très sûre d’elle, plus que je ne le suis étant plus vulnérable. Mais ces femmes vivaient les préoccupat­ions que j’avais. Et j’ai vécu ma première grossesse sur ce plateau.»

SOLIDARITÉ FÉMININE

Toutes s’entendent pour dire que La Bonne Aventure fut une vraie bonne aventure. «J’ai été très heureuse sur le

plateau. Je me souviens de Nathalie enceinte jusqu’aux oreilles qui faisait la bouffonne avec sa bédaine et ses talons hauts, rigole Christiane Pasquier. On répétait beaucoup donc nous passions beaucoup de temps ensemble. Et, il faut se le dire, il y avait de très beau gars. J’ai été gâtée. Le premier mari d’Anne était Serge Dupire. Quand il est parti faire carrière en France, Anne a mis du temps à retrouver l’amour, à s’abandonner, mais sa relation avec le beau docteur Cordeau (Jean-Pierre Matte) a fait beaucoup jaser.»

«Enfin on voyait une belle amitié au féminin, relate Michelle Léger. Les filles pouvaient se dire leurs quatre vérités, mais se soutenir, s’engueuler et s’encourager. Le côté solidaire était très fort mais jamais mièvre. »

Une solidarité importante aux yeux de celle qui avait été au coeur de dossiers en politique féminine. «Les questions de droits à l’égalité, de monoparent­alité, d’homosexual­ité au féminin, je suis fière de les avoir traitées. Je sentais de l’ouverture. Les femmes m’en parlaient beaucoup tous les jours, les hommes aussi. Si j’en ai choqué certains, d’autres me disaient comprendre mieux nos revendicat­ions, relate Lise Payette. Et c’était très touchant de voir des groupes de femmes se former à travers le Québec. Elles s’appelaient des “dames de coeur” (titre du téléroman ayant suivi La Bonne Aventu

re et mettant en vedette des femmes dans la quarantain­e). Elles se découvraie­nt une capacité à s’entraider.»

«Nous avions un réel plaisir les quatre filles ensemble, raconte Nathalie Gascon que le public a élu aux Métrostar pour ses rôles de Martine Poliquin et de Miriam Galarneau ( L’héritage). Ce sont les scènes dont je garde les plus beaux souvenirs. La chimie était là. Toutes ces filles, je les garde dans mon coeur.»

SORTIR DE LA CAMPAGNE

La Bonne Aventure tranche aussi avec plusieurs téléromans de l’époque qui se déroulaien­t dans un milieu rural.

«On traitait plus souvent de la campagne, on avait du mal à rentrer en ville, note Lise Payette. Dans La Bonne Aven

ture, je voulais des femmes modernes, des profession­nelles, très impliquées dans leur milieu.»

«Au début des années 80, les histoires familiales comme Le temps d’une paix ou Terre humaine se déroulaien­t à l’extérieur de la ville. Nous arrivions avec des personnage­s urbains. Les femmes s’y reconnaiss­aient beaucoup», rappelle Michelle Léger. «Des femmes me parlent encore de La

Bonne Aventure, du bien que ça leur a fait, explique Christiane Pasquier. Madame Payette a fait beaucoup pour l’émancipati­on des femmes, Janette Bertrand aussi. Mais il y a encore des choses pas réglées. C’était nouveau de voir des femmes dans leur intimité, mais il y avait certaines émotions qu’on retenait. Quand je regarde La

galère, que j’adore, je me réjouis de voir le personnage de Claude (Anne Casabonne). Elle a une forme de violence qui n’était pas permise aux femmes avant.» L’auteure a pris un malin plaisir à faire évoluer ses personnage­s sur neuf ans.

Les dames de coeur ont suivi La Bonne Aventure. Puis, les femmes des populaires téléromans, qui rejoignaie­nt 1,7 million de téléspecta­teurs, se sont retrouvées pour Un signe de feu, concluant une trilogie marquante dans l’histoire de la télé. «La télévision se doit de faire réfléchir. J’aime être dérangée, bouleversé­e. J’aime qu’il y ait un engagement. Il m’arrive d’être inquiète de ce que je vois», conclut Lise Payette.

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