Le Journal de Montreal - Weekend

TUEURS INVISIBLES

En s’attaquant aux drones, programme militaire controvers­é s’il en est un, le cinéaste et scénariste Andrew Niccol offre une réflexion d’intérêt sur la moralité de la guerre.

- Isabelle Hontebeyri­e Agence QMI

Les scénarios d’Andrew Niccol ont presque tous la même chose en commun, que l’on pense à Gattaca (1997), Le show Truman (1998), Simone (2002) ou à En temps (2011), ils mettent tous en scène un homme rêvant de s’échapper d’un univers désincarné qui l’étouffe. Et ce n’est pas un hasard, non plus, si ce qui écrase l’humain est le détourneme­nt de la technologi­e à des fins qui sont loin d’être nobles. Le Major Thomas Egan (Ethan Hawke) est un ancien pilote d’avion de chasse de l’aviation américaine. L’action se déroule en 2010, moment où il a été réaffecté au programme des drones de l’armée.

Du fin fond d’un container dans le désert du Nevada, près de Las Vegas, il survole l’Afghanista­n. «Vous sortez du territoire des États-Unis» indique d’ailleurs une affichette en papier, collée sur la porte du container. (Dans le film, les «bureaux» des pilotes de drones sont confinés à des boîtes de métal, chaque équipe ayant la sienne.)

Tandis que son supérieur, le Colonel Jack Johns (Bruce Greenwood), accueille les nouvelles recrues avec un discours cynique et réaliste – «Ce n’est pas une PlayStatio­n, même si le système a été développé à partir de la Xbox», leur dit-il en substance – Egan ne rêve que de voler à nouveau. «C’est la peur qui me manque», avouera-t-il d’ailleurs à Vera Suarez (Zoë Kravitz), sa copilote de drones.

DILEMME MORAL

Malheureus­ement pour lui, l’armée n’a pas besoin de pilotes d’avion de chasse. Cette époque-là est bel et bien terminée. Maintenant, une journée au «bureau», c’est survoler des régions désertique­s, espionner la population locale (la précision est hallucinan­te, bien supérieure aux «démos» qu’on voit à la télévision) et, parfois, prendre la décision d’envoyer des combattant­s ennemis ad patres.

Les mêmes gestes sont inlassable­ment répétés, les mêmes phrases prononcées. Tous les jours, Egan quitte sa femme, Molly (January Jones) et leurs enfants pour aller dans son container après quelques bonnes rasades de vodka. Tous les soirs, comme un employé normal, il rentre chez lui. Seule différence avec le reste de la population: il porte sa combinaiso­n de pilote, rappel de ce qu’il n’est plus.

Parce 2010 est l’année pendant laquelle les États-Unis ont accéléré leur offensive de drones (une note en introducti­on du film permet de situer l’intrigue dans son contexte historique), la CIA choisit l’équipe d’Egan pour mener des opérations «spéciales». Et c’est à ce moment-là que le tout s’accélère. Les hommes de Langley (le lieu du siège social de la CIA) ordonnent des actions qui, c’est le moins que l’on puisse dire, ne répondent à aucun code d’honneur - «Sommes-nous des criminels de guerre», demandera d’ailleurs Suarez -.

Andrew Niccol ne parvient pas, malgré ses efforts et sa bonne volonté, à résoudre le dilemme moral de son protagonis­te. Le réalisateu­r s’en tire avec une élégante pirouette, laissant ainsi le spectateur face à sa propre éthique. À voir.

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