Le Journal de Montreal - Weekend
ÊTRE UNE FEMME AUJOURD’HUI
Les gazelles n’est pas une comédie de femmes comme les autres. Pas de prince charmant, pas besoin d’avoir un chum à tout prix, mais une volonté de trouver sa voie au milieu de rapports amoureux de plus en plus complexes.
Mona Achache ( Le hérisson), réalisatrice et coscénariste, a souhaité, avec ce long métrage adapté d’un spectacle de l’humoriste Camille Chamoux – qui incarne le rôle de Marie, le personnage principal –, «dire que le mouvement féministe a fait de grands progrès et que la place de la femme dans la société n’est pas la même qu’il y a quelques années. Du coup, cela implique des rapports différents entre les hommes et les femmes parce que, soudainement, la femme a la liberté et le choix de pouvoir partir et de voir sa vie autrement que comme on la lui a dictée.»
«Cela nous intéressait de disséquer les nouveaux rapports amoureux inhérents à une ère post-féministe en France. Les dommages collatéraux de cette nouvelle liberté sont aussi par moments la solitude, par moments l’errance. Cette liberté, c’est aussi la possibilité d’expérimenter, comme ont toujours pu le faire les hommes, et ce que cela implique comme violence dans les échanges dans un monde capitaliste où même les rapports amoureux donnent parfois l’impression d’être sur le marché de l’offre et de la demande.»
Pour la réalisatrice trentenaire, ce portrait comique n’exclut pas «la poésie et la tendresse». Dans Les gazelles, Marie rompt avec Éric, son conjoint depuis 15 ans, alors qu’ils viennent de s’acheter un appartement. Elle tente donc de trouver ses points de repère et se lance dans la vie de célibataire avec un mélange d’angoisse et d’enthousiasme. Avec un parti-pris de «réalisme et de manière un peu crue avec laquelle on a l’habitude d’aborder les choses», la cinéaste dresse un portrait d’une génération.
LOIN DE LA « ROMCOM »
On ne peut s’empêcher de comparer Les gazelles avec ses pendants de nos voisins du Sud, notamment Bridesmaids, le film de filles irrévérencieux par excellence. Par contre, pas question pour Mona Achache de tomber dans les travers des comédies romantiques hollywoodiennes. «Pour moi, Bridesmaids est beaucoup plus caricatural que Les gazelles. Les personnages y sont d’ailleurs un peu des figures, il y a la bonne copine un peu ronde, par exemple. Nous, nous ne vou- lions pas du tout être là-dedans. Après, dans Les gazelles, il y a ce côté anticomédie romantique américaine, car le but ultime de notre personnage n’est pas tant de trouver l’amour que de trouver ce qu’elle veut vraiment. En cela, il n’y a pas de « happy end » à la fin, on peut y voir quelque chose de beaucoup plus désespéré ou de beaucoup plus ouvert.»
Ce qui frappe d’ailleurs la réalisatrice, c’est la réaction du public qui diffère en fonction de son vécu. «C’est très drôle. Il y a des gens qui sortent du film en disant qu’ils ont ri, que c’est énorme et caricatural. Et il y en a d’autres qui ressortent en disant que c’est tellement désespérant, parce que c’est leur vie et que c’est un regard désespéré sur notre génération et la société.» «Aujourd’hui, on perd le sens du féminisme – qui est une volonté d’égalité entre hommes et femmes, et non pas que l’un arrive à vaincre l’autre –, mais j’entends aussi – et j’ai entendu parler de plusieurs associations au Canada – parler du fait que beaucoup d’hommes ont du mal à trouver leur place dans un monde qui, tout d’un coup, en donne une nouvelle aux femmes. Peut-être les hommes donnent-ils l’impression d’être un peu égaré dans Les gazelles, parce qu’on a peu coutume de les voir dans de seconds rôles, mais nous avions une volonté de montrer le point de vue des femmes. Je vois effectivement, autour de moi, des hommes un peu perdus, qui ne savent pas quelle place ils doivent ou peuvent prendre dans un monde où les rapports sont redistribués.»
D’ÉGAL À ÉGAL
L’un des éléments notables de Les gazelles est que le personnage de Marie finira par nouer une relation d’égal à égal avec Janusz, l’ouvrier polonais qui devait effectuer les travaux dans l’appartement qu’elle avait acheté avec Éric. «Tout au long du film, Marie va chercher à trouver où est son délire à travers des rapports sexuels ou amoureux. Mais, à travers ce personnage, dont elle ne pouvait rien attendre et qu’elle prend le temps de découvrir sans être dans ce rapport de séduction, elle va vraiment arriver à se cadrer.»
En élargissant le propos, Mona Achache pense-t-elle que ce qui caractérise la génération des femmes qui sont actuellement dans la trentaine est la découverte de leur sexualité. La clé du post-féminisme serait-elle là? «Complètement. J’ai vraiment l’impression qu’on est de plus en plus axés sur le plaisir de la femme. […] On est maintenant dans un rapport d’égalité qui fait qu’on peut commencer à parler du plaisir de la femme comme on a toujours parlé de celui de l’homme.»
Les gazelles est présenté dans les salles obscures depuis vendredi le 15 mai.