Le Journal de Montreal - Weekend

AU-DELÀ DES VICES CACHÉS

Il y a dix ans, une série déjantée et grinçante débarquait sur les ondes de TVA. Vice caché avait retenu l’attention des journalist­es qui félicitaie­nt son audace. Créée par Louis Saïa et François Camirand, réalisée par Saïa lui-même puis Claude Desrosiers

- Emmanuelle Plante Collaborat­ion spéciale

« Vice caché a été une série formidable, lance Micheline Bernard qui y campait Camille, épouse de Benoît (Guy Nadon), femme anxieuse et isolée rongée par un drame familial. C’était un genre qu’on n’avait pas souvent vu à la télévision québécoise. Rare tant dans le drame que dans la comédie. C’était tellement bien écrit. J’aimais le regard que les auteurs portaient sur la société. Et nous, les comédiens, ne savions jamais où ils allaient amener nos personnage­s.»

«Quand j’ai lu le texte, mon premier étonnement a été qu’on ait pensé à moi», se souvient François Papineau qui incarnait l’étrange et inquiétant Jean-Paul, un entreprene­ur qui avait fait fortune plus ou moins légalement, collection­neur de trophées de chasse et faiseur de menaces en série. Un personnage, semble-til, inspiré d’une véritable rencontre entre l’auteur et un amateur de trophées de chasse. «Il était tellement éloigné de ma personnali­té, poursuit Papineau, et vivait dans cette espèce de monde aseptisé. Mais je trouve qu’une certaine humanité en ressortait. Quand je le regarde avec du recul, il y avait quelque chose de très symbolique et poétique dans ce personnage-là.»

COUPLES À LA DÉRIVE

« Vice caché, c’est l’influence de certaines séries américaine­s de l’époque, mais nous avons aussi eu envie de donner vie à des gens qui vivent dans des monster houses de banlieue, dont le garage est plein et qui dépensent pour dépenser, explique l’auteur et créateur Louis Saïa. Avant d’avoir la confirmati­on de l’acceptatio­n de la série, je m’étais assuré que Luc Picard embarquait dans le projet. Il n’avait pas fait beaucoup de comédie, mais représenta­it un appui de taille pour nous. Il allait devenir Michel, un sexologue à l’écoute et un auteur, pas plus vite que les autres dans d’autres domaines, souvent mélangé, pris dans un conflit d’éthique en ayant une relation avec une patiente. Il y avait une grande dichotomie entre son travail et sa vie, alors que sa vie de couple n’allait pas fort, fort.»

La sexualité, les tromperies et la vie de couples à la dérive étaient au coeur de la série au ton plutôt caustique. «Ce n’était jamais hyper dramatique. Plutôt ironique. Ou cynique, note-t-il. Le modèle de banlieue parfaite où les maisons sont belles, mais ont toutes des vices cachés. Tous les personnage­s en avaient! Nicole [Sylvie Léonard], accro à la chirurgie plastique, en est un bon exemple. Elle multipliai­t les opérations à la moindre fragilité.»

Au côté de Luc Picard, Nathalie Mallette interpréta­it Danielle, la froide avocate. «Luc et moi avions les rôles un peu plus

straight de la gang, mais peut-être aussi les plus sombres. Danielle avait un rapport à ses enfants pas du tout émotif. Elle était cérébrale. Pas très présente non plus, confie la comédienne. Elle acceptait des contrats complèteme­nt immoraux seulement par appât du gain. Elle s’éloignait de Michel.»

DRÔLES DE MOINEAUX

«J’ai tout de suite aimé Camille, avance Micheline Bernard. Au début, je craignais que les gens la jugent. Qu’ils se demandent quelle sorte de folle c’était, ça. C’est ce qui est arrivé d’ailleurs. Au fur et à mesure, on a compris que sa fille était disparue et tout avait du sens. Et contrairem­ent à ses voisins, son couple était soli-

de, uni. Lui restait là malgré tout et l’aimait. Camille était toujours fébrile, tu la sentais toujours un peu sur les pilules. Mais elle essayait de vivre, de travailler. Elle s’est lancée dans le bénévolat.» Ce rôle a d’ailleurs valu un Gémeaux à la comédienne en 2005.

«C’était un extraterre­stre, cet homme-là, affirme François Papineau au sujet de son personnage. Il est tombé en amour avec un veau dans une mini-ferme à la Place Versailles, il entretenai­t des conversati­ons avec les oiseaux. C’est comme ça qu’il s’est rapproché de son voisin Laurent [Alexis Martin], qu’il n’aimait pas. Mais comme lui aussi parlait aux oiseaux, il s’est rendu compte que, finalement, ils parlaient ensemble! Symbolique­ment, ils avaient des affinités. Ses contacts les plus sincères étaient avec des animaux. Il avait un look pas possible et était complexé par son manque de culture. Il lisait des résumés de livres pour avoir de la conversati­on, capotait sur Normand Brathwaite et le voulait comme porte-parole jusqu’à ce qu’il constate que sa femme tombait en amour avec lui! Les histoires étaient complèteme­nt farfelues, mais le fond réaliste.»

«Contrairem­ent à d’autres personnage­s, je ne jouais pas drôle, explique Micheline Bernard. J’allais plutôt dans la fragilité et c’est ça qui devenait amusant. La série m’a permis de faire la rencontre de Guy Nadon, pour qui j’ai un respect énorme.» Si toutes ses scènes ont été tournées dans le plus grand des bonheurs, Micheline se souvient d’une scène pour laquelle elle a eu une certaine appréhensi­on. «J’ai un petit côté claustroph­obe. Nous avions une scène à tourner sur le bord de la piscine, dans laquelle Camille tentait de se noyer. Ça devait être tourné en partie sous l’eau. Guy savait que j’avais peur. Tout l’après-midi, nous sommes restés sur le bord de la piscine. Il m’a fait rire, me jasait de toutes sortes de choses. Il était vraiment avec moi là-dedans. Et ça a donné une très belle scène.»

FIN ABRUPTE

Vice caché était sans doute avant-gardiste par son ton, mais bien de son temps en termes de moyens de production. Comme le dira François Papineau, ce fut sans doute l’une des dernières séries lourdes tournées au Québec. Saïa le confirme, il en coûtait près de 800 000 $ l’heure qui rejoignait 950 000 téléspecta­teurs. «Les chaînes spécialisé­es commençaie­nt à gruger des cotes d’écoute. Ça nous a fait mal. Une troisième saison était prévue dès le début et écrite avant que TVA ne cancelle la série. Les gens ont été surpris autant que nous. En plus, nous venions de rafler plusieurs Gémeaux.»

Nous sommes donc restés en plan. Sachons-le, cette troisième saison dort toujours dans le tiroir de Louis Saïa. Une autre chaîne pourrait-elle la réanimer, comme c’est le cas de Mirador? Sinon, il caresse toujours le projet de faire revivre les personnage­s au cinéma. Et les idées ne manquent pas pour pimenter les destins de cette bande de joyeux lurons. « Vice caché aura été pour moi un bonheur de retrouver Louis Saïa, de jouer avec une brochette d’acteurs incroyable­s et une grande rencontre avec le réalisateu­r Claude Desrosiers, un formidable directeur d’acteurs», conclut Nathalie Mallette.

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Vice caché débarquait à TVA il y a 10 ans.
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