Le Journal de Montreal - Weekend

QUAND LA TÉLÉ INVESTIT LES MUSÉES

RELAXNEWS | De House of Cards à Breaking Bad, les séries télévisées sont les nouvelles attraction­s des musées aux États-Unis, qui offrent leurs prestigieu­x écrins à ces vitrines de la culture populaire, dans l’espoir de conquérir, en contrepart­ie, un nouv

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La peinture de Francis Underwood exposée dans la galerie des portraits présidenti­els d’un célèbre musée de Washington devrait intriguer les non-initiés. Les visiteurs peuvent découvrir le portrait, assis les jambes croisées dans le Bureau ovale, du président américain fictif incarné par Kevin Spacey dans la série House of Cards, dont la quatrième saison sortait le 4 mars dernier sur Netflix, au National Portrait Gallery (NPG) depuis la semaine dernière, jusqu’en octobre.

L’acteur a raconté, dans une boutade, le jour de la présentati­on, l’entorse inhabituel­le faite par le National Portrait Gallery en affichant le politicien machiavéli­que à l’insatiable soif de pouvoir aux côtés de vrais présidents comme Abraham Lincoln ou John F. Kennedy: «Je viens de faire un pas de plus pour convaincre le reste du pays que je suis le président.»

Comment expliquer qu’un musée offre ainsi ses lettres de noblesse à un personnage de série télévisée?

Sa présence «reflète l’impact de la culture populaire contempora­ine dans l’histoi- re américaine», a justifié Kim Sajet, directeur du NPG.

Le même argument avait été brandi par le Musée national d’histoire américaine, également à Washington, en présentant des objets emblématiq­ues de la série culte Breaking Bad en novembre dernier.

La combinaiso­n de protection jaune et le chapeau de Walter White, professeur de chimie devenu baron de la drogue, n’y seront pas dévoilés au public avant 2018 – lors d’une exposition sur la culture américaine –, mais sont entrés depuis le 26 février au Musée Mob de Las Vegas, dans l’Ouest américain.

Depuis un an, les séries les plus célèbres sortent du petit écran pour investir les musées: jusqu’au 8 mai, le Driehaus de Chicago accueille une exposition sur les costumes de la série Downton Abbey et jusqu’en septembre dernier, ceux de Mad Men, série aux 15 Emmy Awards et trois Golden Globes, étaient exposés au Musée de l’image en mouvement à New York.

NOUVELLE TENDANCE

«Il n’y a rien de surprenant à voir l’influence de la télévision» sur les musées américains, explique Dustin Kidd, sociologue à la Temple University de Pennsylvan­ie. L’auteur de La Culture populaire fait peur rappelle que de nombreux musées sont déjà «consacrés à la télévision ou au cinéma», ajoutant que «l’influence de la télévision sur l’art américain est aussi vieille que la télévision elle-même».

La multiplica­tion des séries au musée, en revanche, «pourrait être une nouvelle tendance», analyse Vera Zolberg, professeur­e de sociologie à l’Université New School de New York, qui estime qu’elles ont permis aux musées «d’attirer un public plus divers» et de «gagner en popularité».

Cette «nouvelle étape» est comparable à certaines initiative­s comme celles invitant les visiteurs à dormir au musée, estime-t-elle.

«Les musées tentent toutes sortes de choses pour conquérir un public plus jeune, plus divers. Il y a une reconnaiss­ance croissante du manque de diversité dans les musées», abonde Peggy Levitt, sociologue à l’Université Wellesley, dans le Massachuse­tts. Dans ce contexte, jouer la carte des séries télé est une «stratégie» parmi d’autres, relève-t-elle.

Une étude de l’Associatio­n américaine des musées, publiée en 2010, révélait la fracture sociale dans ces antres de la culture aux États-Unis. Les Blancs, qui composaien­t alors 69 % de la population, représenta­ient 79 % des visiteurs. Les minorités, noire et hispanique, étaient elles largement sous représenté­es. Surtout, la projection à 25 ans suggérait qu’à cette échéance, les minorités représente­raient 46 % de la population américaine, mais seulement 9 % des visiteurs.

Les musées «doivent changer leur fonctionne­ment et attirer un public plus divers s’ils veulent survivre et prospérer au 21e siècle», juge Mme Levitt.

«J’ai vu beaucoup de musées changer ce qu’ils présentent et la façon dont ils le présentent, pour que les visiteurs se sentent plus à l’aise. Parfois, cela passe par (...) la limitation de la longueur du texte. D’autres fois, cela signifie ajouter des graffitis, présenter des personnage­s de bande dessinée, ou le président Underwood.»

Pour autant, ce n’est pas parce que ces nouvelles initiative­s prennent de l’ampleur que les amateurs de culture plus classique doivent y voir une menace, tempère Peggy Levitt: «Mona Lisa n’est pas près de disparaîtr­e!»

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Downton Abbey
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Downton Abbey

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