Le Journal de Montreal - Weekend
ÊTRE LÀ OÙ EST LE PUBLIC
Nos habitudes télévisuelles changent. Question de générations ? Sans doute. Quoi qu’il en soit, nous avons maintenant les outils qui nous permettent, spectateurs que nous sommes, d’être exigeants. Pour la première fois, depuis l’automne, ce «dispersement»
Certains rendez-vous persistent, mais les cotes d’écoute de la télévision traditionnelle ont connu une légère baisse depuis l’automne. Notre intérêt pour les produits télévisuels n’a pas changé, le support et la façon de les consommer oui.
«Il ne faut pas se mettre des oeillères, affirme Christiane Asselin, directrice Contenu et programmation multiécran, Websérie et Ici Tou.tv. Radio-Canada est tournée vers le numérique. Nous souhaitons être là où les gens veulent et innover.» La montée en flèche de la popularité de Netflix a forcé les diffuseurs de chez nous à emboîter le pas vers le numérique avec un contenu exclusif et la possibilité de le regarder en rafale.
«Quand on a lancé le Club Illico il y a 3 ans, nous avions observé l’évolution du marché, de notre clientèle et ce qui était recherché, explique Marie Ginette Lepage, Vice-présidente Marketing, Télédistribution et exploitation des contenus pour Vidéotron. Pour les francophones, il n’y avait aucune offre de service adaptée. Nous avons développé avec Québecor Contenu des produits adaptés à des cibles spécifiques, on est allé chercher des films qui avaient connu des succès au box-office et généraient une certaine traction, puis on s’est rendu compte que certains télévores étaient prêts à payer pour avoir un contenu premium et pouvoir consommer leurs séries en rafale. »
« Notre stratégie s’est articulée autour de deux points : donner aux gens ce qu’ils veulent, où ils veulent, quand ils ont envie de l’écouter et contrer Netflix, poursuit Christiane Asselin. Le binge watching (gavage télévisuel ou écoute en rafale) est une réalité et pour que notre clientèle continue d’aimer Radio-Canada, il faut leur offrir ce dont ils ont envie. » Dans cette optique, Tou.tv a fondé l’Extra où les abonnés ont accès à un contenu en primeur et sur lequel on retrouve un catalogue de produits destinés aux gens dès le pré-scolaire jusqu’à 50-60 ans. »
TÉLÉ À LA CARTE
Depuis une dizaine de jours, une nouvelle règlementation du CRTC, fruit d’une audience publique, est entrée en vigueur obligeant les câblodistributeurs à offrir des forfaits de base plus abordables et surtout plus souples. «La télévision à la carte est une grosse tendance aux États-Unis comme en Europe, constate Arnaud Granata, vice-président et directeur des contenus des Éditions Infopresse. Il y a une fragmentation des plateformes et des auditoires, mais le plus important est de créer une marque forte qui va atteindre son public cible.
Télé-Québec, par exemple, réussit très bien avec l’émission Like-moi à rejoindre sa cible. Les personnages ont des profils sur les réseaux sociaux, des contenus exclusifs ont été créés, on peut revoir les épisodes, l’émission s’est associée à Vidéotron mobile. Dans ce cas-ci Télé-Québec est associée à des contenus jeunes, dans l’air du temps, crée des phénomènes de société, ce qui stimule la clientèle cible à regarder la chaîne. »
Du côté de l’Extra Tou.tv, les fans de Série Noire, ont eu accès à l’entièreté de la seconde saison en décembre dernier, un mois avant sa diffusion sur Ici Radio-Canada Télé. «On remarque qu’il n’y a pas de “cannibalisation” entre les plateformes, avance Christiane Asselin. Série Noire a eu les mêmes parts de marché même en étant proposé en primeur. Il y a des gens pour qui Série Noire est une obsession et qui ont été très contents de pouvoir dévorer la série en rafale. La multiplication des plateformes permet ce qu’on appelle la “découvrabilité”. La diffusion de la 2e saison a stimulé l’écoute de la 1re.»
Pour suivre sur cette ligne de pensée, Tou.tv annonçait la semaine dernière que plusieurs productions d’Ici Explora seraient dorénavant offertes sur l’Extra. «Explora est une chaîne qui va bien. Mais des téléspectateurs qui n’y ont pas d’accès direct vont bénéficier d’une sélection de contenus, explique Christiane Asselin.» Ce qui permettra à certains de découvrir ainsi la chaîne et de s’y abonner pour poursuivre l’expérience.
LE SUCCÈS DE BLUE MOON
Le Club Illico a marqué un grand coup en diffusant en exclusivité la série Blue Moon. En 48 h on avait comptabilisé 100 000 visionnements, un million en moins d’un mois. «C’est une série qui a été bâtie, montée, pensée pour une écoute
en rafale, raconte Marie Ginette Lepage. Luc Dionne nous a dit qu’il écrivait un film de 10 heures et c’est exactement ça tellement la série est addictive. Elle nous a permis d’afficher notre meilleure semaine d’acquisition de client et on remarque que la moitié de nos abonnés ont dévoré les 10 épisodes en moins d’une semaine.»
Est-ce à dire que le Club Illico continuera à plancher sur des séries lourdes? «Une deuxième saison de Blue Moon a été tournée et il est certain qu’on développe des contenus pour mettre en valeur nos plateformes et notre clientèle.» D’autres séries, dont Mensonge, ont aussi connu plusieurs vies, sur le Club Illico, Addik puis TVA.
Ce succès inspire-t-il Tou.tv Extra à se lancer dans la production de séries télé ? «Chacun développe des choses différentes pour rencontrer son public, affirme Christiane Asselin. Nous venons d’an- noncer de nouvelles séries web. On développe de nouveaux talents, de nouveaux auteurs. C’est un genre qu’on aime. La websérie Quart de vie, qui s’adresse aux 18-25 ans, a enregistré un million de branchements. C’est une clientèle qui est moins télévisuelle pour qui c’est devenu leur Watatatow. »
RAJEUNISSEMENT DES AUDITOIRES
Cette clientèle, qui est-elle ? Pour des raisons de compétitivité, aucun diffuseur ne veut se prononcer. Chose certaine, nous sommes à une ère de transition entre une génération très attachée à son téléviseur et une autre difficile à fidéliser qu’il faut séduire où elle est. «On assiste à un phénomène de rajeunissement des auditoires, confirme Arnaud Granata. Les rendez-vous télé sont de moins en moins fréquents. Il y a La Voix, Tout le monde
en parle. Ce qui est complexe c’est que la mesure d’aujourd’hui n’est pas adaptée à la réalité. Il n’y a pas de mesure globale. Un annonceur qui achetait dans une chaîne veut être aujourd’hui présent où il aura un pouvoir d’influence sur sa cible, il veut se coller à la création de contenu, avoir un contenu exclusif, une stratégie multiplateforme, un déploiement en mobilité, une application. Un 30 secondes en ondes ne suffit plus d’où la création de produits dérivés.»
C’est sans doute pour atteindre les jeunes que tous les épisodes des Pays
d’en haut se sont retrouvés sur l’Extra après un départ canon sur Ici Radio-Canada Télé. «Encore là, ça n’a pas nui aux cotes d’écoute, confirme Christiane Asselin.» Mais à ce rythme-là, la télé va-t-elle survivre? «Il faut arrêter de voir le numérique comme une menace, mais plutôt comme un complément. La télé demeure une plateforme de choix, mais le public a l’opportunité de se promener.»
«Il y a beaucoup de complémentarité entre les plateformes, confirme Marie Ginette Lepage. Certains contenus se regardent sur grand écran, en rafale ou à la petite semaine. Sur les cellulaires, les contenus ne dépassent pas les 4 minutes.» Le numérique stimulerait donc le traditionnel et vice-versa. «Quand on regarde les diffuseurs et toutes les plateformes au Québec, note Arnaud Granata, la télévision est très forte au niveau des investissements et reste en tête. C’est le vaisseau amiral. »