Le Journal de Montreal - Weekend
VOYAGE AU BOUT DE L’EXIL L’ANTISÉMITISME
Nous sommes en 1946. Céline (Denis Lavant) a fui la France à la Libération, s’est réfugié au Danemark, mais y est finalement arrêté après la chute du régime nazi, passe un an et demi avant d’être placé en résidence surveillée.
C’est à ce moment que le long métrage débute, alors que l’auteur de Voyage au bout de la nuit invite Milton Hindus (Philip Desmeules), un universitaire américain, juif de surcroît, à venir lui rendre visite à lui et à sa femme, Lucette (Géraldine Pailhas).
D’emblée, Emmanuel Bourdieu, scénariste et réalisateur de Louis-Ferdinand Céline, attaque de front l’antisémitisme de l’écrivain, entrecoupant la rencontre entre les deux hommes de passages de Voyage au bout de la nuit, qu’est en train de lire Hindus. On observe, comme l’Américain, la vie quotidienne du couple, le «maître» qui déclare péremptoirement n’avoir aucune vocation d’écrivain (!), les moments détendus, même intimes.
Adapté de The Crippled Giant, l’ouvrage écrit par Hindus publié en 1950, LouisFerdinand Céline montre un homme normal et fantasque, d’une lucidité désespérée en ce qui concerne la condition humaine et les motivations de ses congénères. Exilé, Céline n’a rien perdu de sa verve et est obnubilé par le manque d’argent et par la situation politique en France (il sera condamné en 1950, par contumace, puis amnistié l’année suivante parce qu’il est invalide de guerre).
Mais c’est l’antisémitisme qui occupe rapidement le devant de la scène de cette comédie humaine. Céline, l’un des plus grands écrivains du XXe siècle, est contre les juifs, contre les communistes. Il ne renie rien de son passé de pamphlétaire antisémite sous l’occupation allemande (même le régime de Berlin trouve sa virulence un peu trop… virulente). Il insiste, y revient, fouaille Hindus, le tourne en ridicule.
Denis Lavant est extraordinaire en Louis-Ferdinand Céline: un regard fait passer tout le fiel, la moquerie, voire le mépris qu’éprouve ce géant pour ses semblables. En quelques gestes, l’acteur qu’on a vu dans Holy Motors de Léo Carax (ainsi que plusieurs autres longs métrages du cinéaste) brille ici de tous ses feux. Son jeu, ainsi que celui de Géraldine Pailhas – elle aussi exceptionnelle – est volontairement ambigu, Emmanuel Bourdieu misant sur une réalisation très théâtrale.
On ressort de ce Louis-Ferdinand Céline troublé d’avoir levé un coin de rideau sur une âme qui n’est pas habitée par la vie.