Le Journal de Montreal - Weekend
SOUVENIRS DE VOYAGES
Est-ce un deuxième Noé que ce roi Hotu Motu’a qui est venu dans l’île de Pâques vers l’an 900 avec un navire chargé de couples de bêtes pour repeupler cette terre vierge?
À l’exception des Moaïs, bien sûr, ces gigantesques statues de pierre à demi submergées par le temps, qui les regardaient fixement…
C’est à peu près à la même époque que les Vikings visitaient Terre-Neuve et remontaient le Saint-Laurent… sans s’établir ni laisser de traces, sinon dans leurs «sagas».
Avec le peuple inconnu qui a dressé les Moaïs de l’île de Pâques, c’est le contraire: il ne reste que les monuments… qui refusent de nous parler!
Quand le roi Hotu Motu’a est arrivé, il n’y avait plus personne. Pour lui, c’était vraiment un territoire idéal à coloniser sans avoir à conquérir d’autochtones. Mais son peuple vécut ce grand malheur six siècles plus tard, aux mains des esclavagistes péruviens qui vidèrent carrément l’île des descendants du roi.
Une substitution ethnique eut lieu. Les Rapanuis, que nous avons le réflexe un peu naïf de tenir pour des autochtones aujourd’hui, sont arrivés vers la fin du 19e siècle uniquement comme employés de ferme pour les seigneurs péruviens.
Quelle étrange île que celle qui se peuple et se dépeuple et se repeuple… sauf de ses gigantesques visages de pierre qui excitent d’autant plus l’imagination qu’on n’en sait rien!
C’est une belle leçon d’humilité de se trouver dans ce lieu qui en a vu bien d’autres passer… Et disparaître. Car oui, nous ne faisons que passer, mais les oeuvres restent plus longtemps. Si notre actuelle civilisation disparaissait dans un cataclysme, il est fort à parier que les humains qui redécouvriraient ce monde post-apocalyptique seraient fascinés, comme nous le sommes, par ces visages que nous n’impressionnons guère.
Puisque ce lieu figure dans toute bonne liste de choses à voir avant de mourir, j’ai pu cocher la petite case… Mais qu’est-ce que je sais de plus à la suite de ce périple? J’ai seulement davantage conscience que nous ne savons pas grand-chose. Ce que l’on vient voir ici, on ne sait trop ce que c’est. On l’a oublié.