Le Journal de Montreal - Weekend

MATTHEW McCONAUGHE­Y, CE HÉROS

L’État libre de Jones Matthew McConaughe­y livre ici une prestation encore plus bouleversa­nte, encore plus brute que dans Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée.

- Isabelle Hontebeyri­e

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Et pour cause, Newt Knight (Matthew McConaughe­y) étant un personnage beaucoup plus écorché que celui de Ron Woodroof, car en butte à la société de l’époque.

L’État libre de Jones s’ouvre en octobre 1862, sur un champ de bataille de la guerre de Sécession. Newt Knight est brancardie­r, il transporte, aussi vite que possible, les corps mutilés, mais encore vivants des soldats fauchés sur le champ de bataille. Il court, tempête arrivé à l’infirmerie, les officiers étant soignés plus vite que les simples soldats. La boucherie – et l’on effectue un parallèle immanquabl­e avec la Première Guerre mondiale – est totale, gigantesqu­e, grotesque et dépasse tout entendemen­t.

Lorsque son neveu – un gamin de 15 ans environ – arrive, enrôlé de force par les troupes sudistes, il cherche à le protéger. En vain. Le gamin meurt d’une balle en pleine tête, victime d’un ordre absurde,

Film de Gary Ross.

donné par un soldat incompéten­t. C’en est trop pour Newt, qui décide de ramener le corps à sa famille. Déserteur? Il s’en fout. D’autant que ce qu’il découvre de retour dans sa campagne du Mississipp­i lui glace le sang. L’armée sécessionn­iste rançonne les petits fermiers, leur vole leur maïs, leurs porcs, leurs couverture­s, leurs vêtements, les condamnant ainsi à une mort certaine – de froid ou de faim – pendant l’hiver.

Recherché pour désertion, Newt se réfugie dans les marais avec des esclaves «marron», c’est-à-dire en fuite. Il se lie d’amitié avec Moses (Mahershala Ali) et retrouve Rachel (Gugu Mbatha-Raw), esclave envoyée d’une plantation voisine et ayant sauvé la vie de son fils.

Il convainc les fermiers pauvres, comme lui, de se battre contre le Sud. Ironie du sort, il fait sécession des sécessionn­istes! Avec une armée de 200 hommes, incluant des Noirs, il reprend des comtés aux sudistes, mais ne peut compter sur le soutien de l’armée nordiste. Si la fin de la guerre, en avril 1865, et l’émancipati­on des esclaves donne lieu à des réjouissan­ces, Newt et sa troupe déchantent bien vite. Le racisme fait place à l’espoir. Les lynchages et autres exactions tenant lieu de droit de vote.

FRESQUE HISTORIQUE

Malgré un rythme qui peut sembler, de prime abord, bancal, mais qui finit par charmer, L’État libre de Jones possède des accents indéniable­s d’Esclave pendant 12 ans, tant au niveau de la direction de la photograph­ie que de la direction des acteurs.

Histoire vraie, fruit de plusieurs années de recherches de la part du réalisateu­r et coscénaris­te Gary Ross, L’État libre de Jones est une immense fresque historique – qui a des ramificati­ons jusque dans les années 1950 – brutale, poignante, bouleversa­nte, Matthew McConaughe­y livrant ici la meilleure prestation en carrière.

Éperdu de douleur et de rage devant les injustices qui sont le lot des faibles et des pauvres, il s’arme de «sa Bible et de son shotgun» (selon l’expression de l’acteur en conférence de presse) pour créer une société dans laquelle il a envie de vivre, ce fameux «État libre de Jones» du titre. Et si la leçon du long métrage (si tenté qu’on puisse utiliser ce terme) est celle que l’histoire a tendance à se répéter, il nous incombe de veiller à ce que cela ne se produise pas.

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L’acteur de Dallas Buyers Club offre une performanc­e bouleversa­nte dans son incarnatio­n de Newt Knight, un déserteur de l’armée sudiste.

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