Le Journal de Montreal - Weekend
UN GRAND CIRQUE POLITIQUE… PAS SI FAUX
En 2002, Luc Dionne et Pierre Houle créaient une véritable onde de choc en présentant à Radio-Canada l’excellente série Bunker, le cirque. Une série avant-gardiste sur les coulisses de la politique. Une série onirique, surréaliste mais pas si fictive que
Près de quinze ans plus tard, force est d’admettre que les théories avancées dans Bunker, le cirque n’étaient pas si fausses étant donné les scandales des dernières années. En 2002, plusieurs, dont Pauline Marois, étaient montés aux barricades pour décrier le traitement que Dionne faisait aux politiciens. «Mme Marois a mal reçu la série parce que je crois qu’elle l’a mal comprise. Elle s’imaginait qu’on parlait d’elle, explique le créateur et auteur Luc Dionne. Les gens l’ont pris au premier niveau. C’était une grande métaphore.»
Bunker, le cirque est né de l’envie de Dionne d’écrire une série politique, milieu dans lequel il avait évolué avant de connaître un immense succès avec Omertà. «C’était dans la foulée de The West Wing (populaire série américaine d’Aaron Sorkin avec Martin Sheen). J’avais gardé beaucoup d’amis dans le monde politique. Après avoir écrit une série hyper réaliste sur le crime et la mafia, je me disais qu’écrire sur la politique, ses coulisses, ce qu’on y vit, dans une forme complètement éclatée, ça serait l’fun. Certains ont été déçus, quelques-uns m’ont fait la baboune 2-3 semaines.»
À l’époque, Bunker, le cirque a fait l’objet de tables rondes, de lignes ouvertes. On s’en scandalisait. Quinze ans plus tard, un autre téléroman nous fait rire jaune: la commission Charbonneau, prouvant que la fiction rencontre souvent la réalité.
LE TRAVAIL POLITIQUE
Bunker ne laissait personne indifférent. «J’avais croisé Liza Frulla, évoque Dionne, et elle m’avait avoué avoir ri et reconnu des gens. Je me souviens, raconte Raymond Bouchard, qu’à l’occasion de mes implications avec Diabète Québec (dont il est le porte-parole depuis une vingtaine d’années), j’ai souvent pris part à des repas avec des politiciens. À l’époque il y avait eu un dîner au restaurant du parlement et j’étais assis à côté de Mme HoudaPépin, que j’ai toujours appréciée, malgré mes allégeances indépendantistes, et elle m’avait dit: “Vous savez M. Bouchard, on travaille très fort au parlement, la majorité des représentants ont de bonnes intentions.” Elle avait pris la défense du milieu politique.» «La politique, ce n’est pas un milieu facile, avoue Luc Dionne. C’est souvent ingrat. On en demande beaucoup à ces gens-là et leur pouvoir est souvent dilué. Paul Bernard (Bouchard) n’avait pas d’ami. Il était seul au monde. Un désert de glace. On le retrouvait d’ailleurs souvent nu, dans la salle de bain, sur la toilette. C’est le seul endroit où tu ne peux pas te mentir à toi-même. Ça prenait du guts pour faire des scènes de même.»
SÉRIE FELLINIENNE
«Le seul moment où Paul était vrai, c’était seul, tout nu, dans la toilette, en train de se couper les ongles d’orteils, précise le comédien. C’est là que les personnages affrontaient leurs vrais problèmes humains. C’était très symbolique.»
«Il y avait tellement de recherche dans cette série-là non seulement les textes étaient extraordinaires mais dans toute l’imagerie. Le premier ministre n’arrivait pas à enlever sa cravate, au téléphone il restait figé, les vieux fonctionnaires se traînaient les pieds, tout était pensé. Aux chaises, il manquait toujours une roulette, on laissait des ombres arriver, on s’éclairait parfois à la lampe de poche, le parlement était toujours en train d’être rénové. Chaque image était spéciale et exprimait quelque chose.»
«Avec Pierre Houle (le réalisateur) et Francine Forest (la productrice), on a
voulu créer un univers à la Fellini, mentionne Luc Dionne. Chaque séquence devait dénoncer quelque chose. Les têtes de moutons, ce n’était pas banal. On se disait aussi que le parlement était le seul endroit où l’on pouvait réellement voir une rumeur. C’est pour ça qu’on voyait toujours 4-5 personnages masqués répandre les rumeurs. Le personnage de Prescott avait toujours un petit garçon à ses côtés, son pendant enfant qui lui rappelait qu’il passe son temps à mentir. Ou encore le bureau qui rapetisse en période de crise. Les plafonds devenaient très bas. On était beaucoup dans la métaphore, le deuxième degré. Ç’a été un exercice très difficile à écrire.»
DE VRAIS APÔTRES
Bunker, le cirque évoquait la découverte du monstre politique par Mathieu Prescott (David Boutin), directeur des communications du parti au pouvoir, pris entre sa conscience et ce que requiert son travail. Le premier ministre Christian Lacroix (Denis Mercier), ex-banquier, était manipulé de toutes parts par ses conseillers, chef de cabinet et autres arrivistes proches du pouvoir. Une véritable satire. Un vrai cirque.
«Christophe, Madeleine, Paul, Jacques, je leur avais tous donné des noms d’apôtres, note l’auteur. Ils s’en allaient tous se faire crucifier. Mon personnage était compulsif, raconte Bouchard. Il replaçait tout droit tout le temps. Il piquait des colères incroyables, était très directif, dictatorial.»
«Je retiens plusieurs bons moments de Bunker, dont une de mes phrases préférées: “Je vais taxer les pays qui m’empêcheront de faire du profit”, cite Luc Dionne. Ou encore, quand Vinel (Rémy Girard) se promenait dans les couloirs pour convaincre le dernier député, avec sa maquette d’autoroute lui promettant quelques kilomètres de plus et plus de monde à collecter, qu’il devait avoir son vote.
TOUJOURS ACTUEL
«On a parlé de financement illégal, un sujet sur lequel portaient déjà trois épisodes d’Omertà dès la première saison. On avait encore beaucoup d’idées et beaucoup de choses à dénoncer s’il y avait eu une deuxième saison. Malheureusement ça s’est arrêté et ça demeure introuvable bien que toujours actuel.»
«Bunker, le cirque est une série culte. Ça a été une aventure formidable, une satire incroyable. Je regrette que nous ayons été diffusés en même temps que Lance et compte et surtout je regrette que ça ne soit plus disponible. C’était avantgardiste. Aujourd’hui, les gens sont plus habitués à des séries aux styles différents. Avec tout ce que nous savons maintenant, ça marcherait encore plus fort c’est certain», conclut Raymond Bouchard.