Le Journal de Montreal - Weekend
Une comédie absurde pour les adultes
Party de saucisses
Mais ils ne sont pas devant la caméra, ils prêtent leurs voix à des aliments ou à des objets d’usage courant d’un film d’animation pas comme les autres. Car Party de saucisses est réservé aux 16 ans et plus en raison de son caractère irrévérencieux. Explications (et éclats de rire) des deux hommes…
Party de saucisses, présenté la semaine dernière en primeur dans le cadre du festival Juste pour rire en présence de Seth Rogen, n’est pas un film d’animation traditionnel. En effet, il ne s’adresse pas aux enfants, mais aux adultes. Car, sous couvert d’une histoire marrante – une saucisse à hot-dog entreprend de découvrir ce qui arrive aux aliments après avoir été achetés –, le propos est volontairement impertinent. Réalisé par Conrad Vernon (Les pingouins de Madagascar) et Greg Tiernan, le scénario a été concocté par
un quatuor de choc, composé d’Evan Goldberg, Kyle Hunter, Seth Rogen et Ariel Shaffir. Produit avec un budget dérisoire de 30 millions $, Party de saucisses se veut une parodie des dessins animés de Pixar et Disney, en plus d’une virulente satire de la société actuelle.
«Les aliments sont convaincus qu’après leur sortie du magasin, c’est la vie éternelle et tout est beau. Mais c’est le contraire qui se passe», nous a résumé Réal Béland en entrevue, l’humoriste doublant les voix de deux personnages, «une bouteille de téquila. Le deuxième s’appelle “Douche” et c’est une douche vaginale.»
ENTHOUSIASTES…
Contactés par les studios via leur agent, puis passés en audition, tant Réal Béland qu’Adib Alkhalidey ont apprécié l’humour particulier du long métrage.
«Le film est quand même assez “trash”, a prévenu Réal Béland. Je n’aime pas dire “pour adultes” parce que ça me fait penser aux dessins animés qu’il y avait quand j’étais plus jeune et qui montraient de gros phallus.» Et l’humoriste à la formation en théâtre a défini Party de saucisses comme «une comédie pour adultes».
De son côté, Adib Alkhalidey a sauté de joie lorsqu’il a été contacté! «Je crois que la dernière fois que j’ai été aussi content, c’est quand je suis monté sur scène pour la première fois! [Rires] C’est drôle parce que ça fait longtemps que je rêve de faire du doublage, j’ai donc accepté tout de suite, malgré le fait que c’était l’été le plus chargé de ma vie!», a confié celui qui prête sa voix principalement à un pain lavash et à un personnage appelé Mr Grits.
Premier long métrage d’animation qui ne soit pas dérivé d’une autre oeuvre à être côté «R» chez nos voisins du sud de la frontière, Party de saucisses est, pour Adib Alkhalidey, un long métrage novateur.
«Jusque-là, je pense que le film d’animation en général avait pour mandat de divertir principalement la jeunesse. C’est sûr que les studios ont toujours trouvé le moyen que ça plaise à tout le monde – et je suis un grand fan d’animation –, parfois même un adulte pouvait encore plus apprécier le sous-texte qu’un enfant. Ce film-là, par contre, s’adresse aux adultes. Il n’y a pas de demi-mesure, je n’ai pas du tout l’impression qu’on essaye d’aller chercher deux publics.»
L’humoriste a, pour sa part, souligné la «vulgarité pleinement assumée, tellement en lien avec la virulence du propos» du long métrage. Et il a «hâte de se retrouver dans une salle pour voir un film d’animation entouré d’adultes. Ça va être quelque chose de nouveau et qui peut ouvrir la voie à un nouveau type de divertissement. Ma génération a grandi avec les South Park, Les Simpson, etc., des séries qui s’adressent aux adultes avec des thèmes pour les adultes. Ça fait du bien que le film d’animation s’y mette aussi.»
LE BAPTÊME DU FEU !
Pour cette première expérience – rapide, les deux hommes n’ont passé que quelques heures dans un studio d’enregistrement montréalais – tant Réal Béland qu’Adib Alkhalidey se sont jetés à l’eau avec entrain. «Ma formation étant une formation de comédien avant tout, j’aborde de la même façon l’humour qu’il soit sur scène, au cinéma ou à la radio, par le jeu d’acteur. Pour moi, il n’y a aucune différence [entre le fait d’être humoriste et acteur], ça reste du jeu dans les deux cas», a souligné Réal Béland. «C’est sûr que le personnage que tu fais en “stand-up”, sur scène, est plus près de toi, mais ça doit passer par quelque chose de vrai si tu veux transmettre de l’émotion, que ce soit en humour ou en dramatique.»
Parlant spécifiquement des défis sur le plateau de doublage, Réal Béland a confié être «dyslexique moteur, ce qui veut dire qu’on a de la misère à synchroniser avec ce qu’on lit.»
«Pour moi, la bande rythmo [NDLR: la bande des dialogues que les doubleurs ont devant les yeux et qui défile au rythme auquel ils doivent dire leurs répliques] est un défi. C’est pour cela que j’étais content de travailler avec François Asselin, qui est musicien. Comme je suis également musicien, nous nous comprenions beaucoup avec les sonorités et les manières d’aborder les intonations.»
Adib Alkhalidey avait essayé de se préparer en demandant conseil à plusieurs de ses amis doubleurs. «Certains m’ont dit que c’était facile, d’autres m’ont dit que c’était compliqué. Je ne savais pas trop dans quel camp j’allais me situer. Mais quand je suis arrivé dans le studio le jour de l’audition, je me sentais vraiment à ma place. C’est bizarre de découvrir quelque chose comme ça à 28 ans, mais je suis sorti de là en me disant que je ferais bien ça tous les jours.»
L’HUMOUR BRIDÉ AU QUÉBEC ?
Quelques semaines après que Mike Ward ait été reconnu coupable par le Tribunal des droits de la personne dans le dossier l’opposant à Jérémy Gabriel, la liberté d’expression est au coeur d’un débat agitant la communauté des humoristes. Réal Béland et Adib Alkhalidey ont dressé un état des lieux de leur métier aujourd’hui…
«Le rapport à la liberté et à la censure tels qu’on les connaît sont en mutation, a dit Adib Alkhalidey. Les zones interdites autrefois ne sont plus les mêmes et, en ce moment, c’est un peu plus difficile de déterminer si un humoriste ou un auteur est en train d’aller dans une zone interdite. Je trouve qu’on est en train de réinventer un peu tout ça.»
Réal Béland a, pour sa part, analysé le phénomène en l’expliquant par un changement dans la manière de penser du public. «Les gens ont de moins en moins le sens de l’humour. Ils perdent de vue les gags que nous faisons, ils veulent voir la vérité là-dedans, ils veulent croire qu’on le pense pour vrai, ce qui est un peu triste.»
«Je pense qu’on recule en tant que société. Une société en santé est une société qui est capable de rire d’elle-même. On est en train de perdre ce côté-là tranquillement pas vite. Party de saucisses fait rire les grands enfants dès le 12 août.