Le Journal de Montreal - Weekend

ROBERT LEGATO, MAGICIEN DES EFFETS SPÉCIAUX SURPRENANT­ES INSPIRATIO­NS

Deux fois oscarisé (pour Titanic et Hugo), collaborat­eur de James Cameron – c’est lui qui a donné vie au monde d’Avatar – de Martin Scorsese ou de Ron Howard, Robert Legato apprécie plus que tout travailler à créer l’impossible. Pour Le livre de la jungle

- Isabelle Hontebeyri­e

Celui qui a découvert sa passion pour le cinéma sur les bancs de l’école primaire a amorcé son travail pour Le livre de la jungle six mois avant le début du tournage. «Nous avons commencé par discuter longuement de ce que nous voulions faire, comme, par exemple, de détailler la mécanique du palais des singes. Les différents départemen­ts ont été fonctionne­ls, prêts à créer les différente­s composante­s du film environ quatre mois avant le début de la production», a indiqué Robert Legato.

Afin de développer des univers irréels aussi crédibles que possible, Robert Legato applique des principes tirés de la psychologi­e (pour Apollo 13, il a décortiqué le fonctionne­ment de la mémoire humaine et des émotions générées par les souvenirs pour recréer le décollage de la fusée) et de l’anatomie (pour la scène de Jack et Rose sur la proue dans Titanic, il a étudié la manière dont l’oeil du spectateur bouge devant un écran afin de réaliser le fondu vers l’épave du paquebot). Pour Le livre de la jungle, il a décidé de mettre en pratique une idée qui lui trottait dans la tête depuis longtemps. «Je voulais utiliser tout l’éventail technologi­que disponible, tout en donnant l’impression que le long métrage avait été filmé avec une vraie caméra. Je voulais que le public sente les limites physiques de la caméra, que le focus sur l’acteur ou l’animal ne soit pas parfait, qu’on voie des mouches, des gouttes d’eau… Mon objectif était de raconter cette histoire d’une manière qui nous est familière et à laquelle nous sommes habitués depuis les débuts du cinéma.»

«Il fallait, même si tout a été fait par ordinateur, que le spectateur sente l’âme du film. Pas question d’avoir des images parfaites. Je voulais de “vrais” éclairages, des positionne­ments de caméras réalistes. Avec Bill Pope (Les hommes en noir 3), le directeur de la photograph­ie, nous nous sommes demandé, pour chaque plan, comment nous le filmerions si nous étions dans un vrai studio, dans un vrai décor. Nous avons utilisé l’ordinateur comme une caméra, délaissant les possibilit­és techniques quasiment infinies de la machine. Mais attention, nous ne faisions pas un documentai­re, la réalité que nous montrons est une réalité cinématogr­aphique, pas une réalité “réelle”.» Pour Robert Legato, ces imperfecti­ons

sont la clé des émotions. «Le public peut alors pleinement ressentir les émotions, car il n’est pas distrait par les effets spéciaux. Il ne se dit pas, dans Le livre de la jungle, à quel point le ciel est beau, les arbres parfaits, il n’est pas en train de regarder la technique. Il l’oublie complèteme­nt et peut ressentir les sentiments des personnage­s, humains ou animaux. Le cinéma dans sa globalité est un art qui happe complèteme­nt le spectateur, qui le projette et qui lui fait vivre ce qu’il voit à l’écran.»

Toujours désireux de mettre son art au service de l’histoire qu’il a à raconter – qu’il s’agisse d’Entrevue avec un vampire, Shutter Island ou encore de Le loup de Wall Street –, Robert Legato n’est pas allé puiser d’inspiratio­n spécifique pour Le livre de la jungle. Pas question, pour cette nouvelle version, de se replonger dans le dessin animé des studios Disney de 1967 ou de regarder des documentai­res animaliers. Non, les sources d’inspiratio­n de Robert Legato sont bien plus nombreuses… et bien plus inconscien­tes.

«Les singes nous ont posé des problèmes parce que ce sont des animaux que tout le monde connaît parfaiteme­nt. Là, la technique devenait évidente, les gens sachant très bien qu’il ne pouvait s’agir de véritables primates. Il fallait donc, pour le Roi Louie, les singes et le palais, que nous fassions de notre mieux pour aller au-delà des connaissan­ces intellectu­elles du public. Nous avons donc décidé de faire grand, de filmer toutes ces scènes à la manière d’Apocalypse Now ou de Au coeur des ténèbres. [Rires] Dans ces deux films, on anticipe les gestes des protagonis­tes, notamment du colonel Kurtz [NDLR: le personnage joué par Marlon Brando dans le long métrage de Francis Ford Coppola] et c’est comme cela que nous avons présenté le roi Louie du Livre de la jungle», a-t-il expliqué.

«La scène du point d’eau, elle, a été inspirée de Les affranchis! [Quand tous les animaux vont s’abreuver au même endroit pendant la trêve de l’eau], nous sommes partis du fait que tout le monde se rencontre après un voyage. Nous présentons les personnage­s – ici, les animaux – au fur et à mesure que Mowgli les découvre. Ce n’est pas quelque chose que je sais ou que je vois au moment où je le fais. […] Je ne le réalise qu’au moment où je vous parle, où je dissèque mon processus!»

«Plus je me penche sur l’histoire du cinéma, plus je réalise que les avancées technologi­ques actuelles ont toutes été pensées il y a des années. Prenez la captation de mouvements par exemple. Et bien, Walt Disney – et c’était topsecret à l’époque – a filmé une actrice pour Blanche-Neige et a demandé aux animateurs de dessiner le personnage avec des calques sur la pellicule. C’est le principe de la captation de mouvements… avec les moyens technologi­ques de l’époque!», a-t-il souligné.

Robert Legato et son équipe ont d’ailleurs tenu à rendre un hommage subtil à Walt Disney dans le long métrage, le dessin animé du Livre de la jungle ayant été le dernier long métrage sur lequel il ait travaillé. «Nous avons présenté le logo des studios Disney au début du film – le château de Cendrillon – de la même manière que s’il avait été fait il y a 50 ans. J’ai demandé à ce que les feux d’artifice au-dessus du château soient colorés et animés à la main, pas par ordinateur!»

Et ce magicien des effets spéciaux, qui prône le «moins, c’est plus» en matière de technologi­e, a conclu avec une réflexion plus large sur le 7e art.

«Le cinéma n’existe pas comme art en soi, c’est une combinaiso­n d’arts qui en devient un à part entière. Un acteur qui n’est pas dans le bon costume ou pas dans le bon décor ne peut pas sauver la scène. Il faut donc que tout soit parfait. Il faut que ce soit le bon acteur, le bon costume, le bon décor, la bonne caméra, le bon éclairage, etc. Puis, après, il faut ajouter la bonne musique, et c’est à ce moment-là que le tout prend vie. […] Pour le Livre de la jungle, nous ne savons pas pourquoi cette histoire résonne de manière si particuliè­re auprès du public, mais c’est le cas et c’est pour cela que nous la racontons encore et encore». Le livre de la jungle arrive en formats DVD et Blu-ray dans les bacs des magasins le 23 août.

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 ??  ?? Dans Le livre de la jungle, seul l’acteur qui incarne Mowgli est réel.
Dans Le livre de la jungle, seul l’acteur qui incarne Mowgli est réel.
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Robert Legato a privilégié des images imparfaite­s, apportant ainsi une touche plus réelle au film.
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Dans le palais des singes, un éclairage naturel a été privilégié.
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Robert Legato souhaitait faire oublier le côté technique au profit des émotions des personnage­s.

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