Le Journal de Montreal - Weekend
ANTICOSTI, LA MYSTÉRIEUSE
L’île d’Anticosti est un paradis de beauté sauvage. Mais elle est aussi une île mystérieuse, tissée d’histoires de naufrages, de famine et de cannibalisme, qu’ont habitée sorciers et riches en quête d’exotisme.
Plusieurs tentatives de développement ont été faites à Anticosti, mais cette grande île du golfe Saint-Laurent a surtout vécu au rythme des marées jusqu’à l’arrivée du chocolatier français Henri Menier, en 1895. Ce dernier l’achète pour la somme de 125 000 $ et il rêve de s’en faire un paradis pour la chasse et la pêche. Il fait construire une gigantesque villa d’inspiration scandinave pourvue de 12 chambres à coucher et de salles de bain en marbre. Puis il développe un village avec hôpital, école, où l’on trouve l’électricité, l’automobile, le téléphone et même une voie ferrée pour le transport du bois.
Menier importe dans son paradis (222 km de long) cerfs de Virginie, orignaux, bisons, caribous, rennes, wapitis, renards… Il s’impose en seigneur incontesté de l’île et il chasse ceux qui refusent de se conformer à ses règlements. Il n’ira que six fois dans son île après y avoir investi une somme colossale. Lorsqu’il meurt en 1913, son frère Gaston prend la relève et il construit des pavillons de chasse et pêche pour accueillir les gens de la haute société.
Du rêve de Menier, il ne reste aujourd’hui que ces pavillons et le village de PortMenier, où vivent près de 200 habitants. Quant à la villa Menier, elle a été abandonnée puis incendiée. Anticosti sera ensuite vendue à des compagnies d’exploitation forestière puis finalement au gouvernement du Québec qui mettra fin à trois siècles de gestion privée
L’île d’Anticosti n’est pas trop hospitalière à cause des forts courants qui l’entourent. On rapporte que plus de 400 naufrages y ont été répertoriés depuis le 16e siècle, lui méritant le nom de cimetière du golfe Saint-Laurent.
Plusieurs endroits de l’île sont évocateurs: Pointe des morts, Baie du naufrage… Et plusieurs lieux portent les noms de bateaux disparus: Jupiter, Cap Ottawa, Brick, Galiote… Encore aujourd’hui, on peut voir autour de l’île quelques épaves de navires, comme le Wilcox, ancien balayeur de mines qui s’est échoué en 1954 ainsi que le chalutier de bois Le Calou, qui a fait naufrage en 1982 à la Pointe Ouest, près du phare. On y trouve à proximité les ruines de Baie Ste-Claire, le premier village construit par Henri Menier. Il ne reste que deux maisons de bois abandonnées ainsi qu’un petit cimetière où reposent de nombreux enfants décédés de la grippe espagnole.
HISTOIRES DE NAUFRAGES
Toutes sortes d’histoires entourent ces naufrages, notamment les naufragés du navire Granicus, qui était parti de Québec en direction de Cork, en Irlande. Affamés, les naufragés se seraient mangés entre eux pour survivre durant l’hiver de 1829. Pour mettre fin à cette série de naufrages, sept phares ont été construits dans l’île à partir de 1831. Celui de la pointe Sud-Ouest est sans doute le plus émouvant. Dans le petit cimetière adjacent entouré d’une clôture blanche, reposent les huit membres d’équipage d’un brigantin qui s’y est échoué en 1874, ainsi que les membres de la famille Pope. Edward Pope fut le gardien de phare le plus connu. Quatre générations de Pope ont gardé ce phare, dont le dernier était une femme. Les arbres rabougris aux allures fantomatiques de la pointe sud-ouest nous rappellent la puissance des vents dans cet endroit, qui serait l’un des meilleurs sites ornithologiques de l’île.
Anticosti fut aussi habitée à partir de 1810 par un personnage qui alimenta la légende: Louis-Olivier Gamache, un original qu’on disait acoquiné avec le diable et qu’on appela «le sorcier d’Anticosti». Il fut engagé comme gardien des dépôts de provisions dispersés autour de l’île pour les naufragés. On rapporte qu’il allumait des feux sur les grèves pour provoquer des naufrages et s’emparer des provisions. La légende dit également qu’il s’enfermait seul et faisait de grands festins en l’honneur du démon. Il avait demandé qu’à sa mort (1854), on l’enterre debout afin d’assister aux levers et aux couchers de soleil. Sa tombe a été profanée à quelques reprises. Sa pierre tombale se trouve tout près des ruines du château Menier.