Le Journal de Montreal - Weekend
MONTRER LA DOULEUR SILENCIEUSE
Les maladies mentales touchent plus de gens qu’on pense. Au Québec, 600 000 personnes souffrent de troubles anxieux ou dépressifs chaque année. Les personnages de nos séries télé en sont le reflet, débarquant dans notre petit écran avec leurs vulnérabilit
La popularité de la télévision réussit souvent à faire changer des opinions, des habitudes. «La santé mentale, on en parle plus et mieux, confirme JeanRémy Provost, directeur général de l’organisme Revivre. On peut faire un parallèle avec d’autres défis d’acceptation sociale – l’homosexualité, notamment. Elle a d’abord été censurée lorsque deux hommes se sont tenu la main dans Le paradis terrestre, puis est apparue avec des clichés avec Christian Lalancette dans Chez Denise, alors que maintenant, c’est une caractéristique d’un personnage sans que ça en soit un sujet. C’est la même chose avec la maladie mentale.»
«Les séries permettent de montrer que ça peut arriver à tout le monde de chuter: avocat, médecin, journaliste... C’est ce qu’on a vu dans Prozac. Suzanne, dans Unité 9, est magnifique. Son trouble anxieux s’illustre tout en finesse. C’est parfait. Guylaine Tremblay a magnifiquement joué la dépression dans Annie et ses hommes. Au secours de Béatrice est un excellent exemple aussi. Ça contribue à sortir les gens de leur silence. Chez Revivre, on met l’accent sur l’autogestion et on mise sur l’espoir en mettant la personne au centre de ses décisions. Béatrice, c’est ça. Elle consulte, elle est au centre de son processus. Et on peut se rétablir.»
S’ÉLOIGNER DES PRÉJUGÉS
Pour aider la cause, il faut toutefois s’éloigner des clichés pour ne pas engraisser des préjugés ou de fausses idées. «L’enjeu est que ce soit le plus près possible de la réalité, poursuit M. Provost. Il arrive qu’en fiction, on tourne les coins ronds en matière de médication, par exemple, ou de crises, pour capter l’attention du public. Les auteurs ont ce droit-là et c’est ce qui fait la différence entre le documentaire et la fiction. Mais la télévision joue un rôle social indirect. Ça s’inscrit dans le cadre d’une meilleure acceptation de la maladie mentale et d’un effet de sensibilisation et c’est très bien. Le danger se trouve dans les émissions à la TLC qui montrent des gens dans leur vulnérabilité comme des animaux de cirque (My Strange Addiction ou Hoarding: Buried Alive, par exemple).»
Des auteurs et des comédiens appellent souvent Jean-Rémy Provost pour s’assurer du réalisme de leurs personnages. Une blessure psychologique laisse moins de traces qu’un handicap physique. «Je leur exprime des émotions en lien avec des caractéristiques physiques, évoquet-il. Quand on est anxieux, on est pris dans nos pensées, on a les yeux hagards, l’impression de ne pas être présent, des picotements, la sensation d’étouffer, on a des maux de ventre. Ce n’est pas nécessairement dans le texte, mais c’est ce qu’ils doivent incarner.»
LA MALADIE MENTALE AU QUOTIDIEN
Cette saison, L’heure bleue nous entraîne dans le quotidien d’AnneSophie et Bernard, un an après un terrible accident qui a heurté leur vie,
leurs convictions, leur stabilité. Béatrice, dans Au secours de Béatrice, suit une thérapie qui l’éveille et nous fait du bien. Mémoires vives met en scène son lot de personnages troublés, tout comme L’échappée, alors que Claude dans Ruptures flirte avec le burn-out. Et dans Lâcher prise, Valérie est dépassée par une routine étouffante.
«J’observe que beaucoup de gens autour de moi ont fait un burn-out, en font un ou sont sur le bord d’en faire, admet l’auteure de Lâcher prise, Isabelle Langlois. On vit vraiment à une époque où l’on doit soutenir un rythme de travail, où on a de la difficulté à dormir, où les parents sont débordés. C’est un sujet extrêmement délicat, mais j’avais envie d’écrire une comédie dramatique avec de vrais sujets.»
Une jeune mère monoparentale nouvellement promue dans son entreprise qui perd le contrôle de sa vie s’avère un sujet actuel que l’on pourrait transposer à plusieurs d’entre nous. «On parle beaucoup de troubles anxieux, de dépression, et c’est tant mieux, soutient Isabelle Langlois. On mène des vies de fous. Nous sommes nombreux à soutenir le rythme de vie que nous avons volontairement choisi. On est peut-être devenus trop exigeants. On a peut-être développé une trop grande idée du bonheur. J’écris sans intention programmatique, mais je pose des questions et espère susciter des conversations.»
PATIENCE ET TOLÉRANCE
Dans L’heure bleue, Anne-Sophie se remet difficilement d’une dépression. «Elle a consulté après la mort de son fils, fait une thérapie, révèle Michel D’Astous, coauteur (avec Anne Boyer) de cette nouvelle série. La pression sociale est énorme. Quand quelqu’un va mal, on lui donne quelques semaines pour se remettre, mais il y a une date de péremption dans l’empathie. Face à la maladie mentale, on montre de l’ouverture, mais si ça perdure, on est agacé – ce qu’on ne fait pas face à la maladie physique.»
Comme le mentionne l’auteur, AnneSophie n’est pas le seul personnage de la série éprouvé par la maladie mentale. «Elle ne veut pas que ses proches soient témoins de ce mal d’être et pour se prendre en main, elle fuit. Elle fait table rase, ne veut plus être femme d’affaires ou mère parce que c’est trop souffrant. Elle va tenter de se reconstruire sans aucun repère. Puis, elle va sentir que ça va mieux, qu’il y a de petites victoires qui mènent tranquillement vers une solution.»
«C’est important pour nous, comme auteurs, d’aller vers les solutions, poursuit D’Astous. Sinon, les gens s’isolent. De petites victoires, ça ne se trouve pas juste dans l’introspection. C’est aussi dans le fruit du hasard, comme dans ses liens avec ses colocs qui ne savent rien de son passé. Mais Bernard, son mari, est à mon avis beaucoup plus en danger. Les thérapeutes le disent souvent, les hommes ont encore plus de difficulté à accepter de perdre le contrôle. Et les dommages deviennent plus importants. C’est ce que nous verrons dans les prochaines semaines.»
Ce n’est pas la première fois que le duo D’Astous-Boyer aborde des thèmes sociaux importants. Leurs séries rejoignent depuis des années un million de téléspectateurs. La dépression habitait certains personnages de Yamaska, tout comme les idées suicidaires. En évoquant la question, ils ont permis à de nombreuses personnes en détresse de se manifester ou de s’exprimer. L’heure bleue s’inscrit dans la même veine avec des personnages sensibles et touchants. «On aime raconter des histoires qui ont une résonnance humaine», confie D’Astous. Une résonnance qui doit être propagée pour assurer la santé mentale de notre société et des êtres qui partagent nos vies!