Le Journal de Montreal - Weekend

S’ATTAQUER À MONUMENT UN

Mettre en scène des oeuvres musicales légendaire­s, Dominic Champagne commence à s’y faire. Après avoir brillammen­t plongé dans l’univers des Beatles, avec le spectacle du Cirque du Soleil LOVE, le metteur en scène s’est attaqué à la création de Roger Wate

- Raphaël Gendron-Martin Le Journal de Montréal raphael.gendron-martin @quebecorme­dia.com

Dominic Champagne travaille depuis deux ans sur le spectacle Another Brick In The Wall - L’opéra. «Je n’ai pas compté mes heures», dit-il. Ce projet autour de l’oeuvre de Roger Waters n’est toutefois pas sa première incursion dans l’univers de Pink. En effet, il y a 12 ans, Dominic Champagne avait travaillé avec le Cirque du Soleil et Waters lui-même pour faire un spectacle sur The Wall.

«Un matin, Guy Laliberté me dit que Roger Waters veut nous rencontrer pour parler d’un projet, relate Champagne. Il me dit qu’il aimerait ça que je vienne. Je me suis donc assis avec Guy, Gilles Ste-Croix (cofondateu­r du Cirque et directeur de création) et Waters. Gilles et moi, on a continué pendant quelques séances de travail.»

À l’époque, Roger Waters était encore beaucoup trop attaché à son oeuvre et Dominic Champagne sentait que le musicien souhaitait plutôt remonter lui-même sur scène pour présenter ses chansons. «C’est ce qu’il a fait avec l’immense tournée qu’on a vue il y a quelques années», dit-il.

LA GÉNÉROSITÉ DE ROGER WATERS

Il y a deux ans, Dominic Champagne a embarqué dans un nouveau projet de spectacle d’opéra autour de The Wall. Le compositeu­r Julien Bilodeau avait conçu de nouveaux arrangemen­ts des pièces de Waters. À l’automne 2014, Champagne, Bilodeau et Pierre Dufour, le directeur général de l’Opéra de Montréal, allaient présenter leur travail au musicien, à New York.

«Dans nos premiers contacts avec lui, Waters n’était pas intéressé par le projet, reconnaît Dominic Champagne. Que The Wall soit porté à l’opéra, il n’y croyait pas. Je me suis servi un peu de l’expérience que j’avais vécue avec les Beatles. J’avais rencontré ce genre de résistance-là.»

Roger Waters a accepté de les rencontrer et il s’est prêté au jeu. «On est monté dans son studio. Il a ouvert une bouteille de vin et on a écouté ça, se souvient Champagne. Il y a vraiment eu un moment magique. Waters a regardé Julien et il lui a dit: “Tu l’as.” Il était charmé. Là, c’était le début de l’aventure.»

Roger Waters s’est montré très généreux avec l’équipe, selon Dominic Champagne. «On a eu droit à beaucoup de confidence­s de sa part, sur l’orphelin qu’il a été, sur ses relations avec sa femme, avec l’argent. [...] Il y a eu beaucoup de franchise. Au bout du compte, il nous a donné beaucoup de liberté. Le gars que j’ai rencontré il y a 12 ans n’avait pas la même capacité à me laisser travailler librement.»

LE CULTE THE WALL

Une fois l’entente conclue avec Waters et Pink Floyd, Dominic Champagne a commencé à s’attaquer au monument qu’est The Wall.

«T’as envie de servir l’oeuvre, le génie, le grand talent de quelqu’un comme Waters que tu admires, dit-il. Il fallait se donner les moyens de l’envergure de ce projet-là. Le contexte du 375e (de Montréal) n’est pas étranger au fait que l’opéra ait un budget plus imposant.»

«J’ai pris ce show-là avec beaucoup de sérieux. Je ne voulais pas faire une version plate, édulcorée, symphoniqu­e, Reader’s Digest du The Wall qu’on connaissai­t déjà. Il y avait une espèce d’ambition musicale à rencontrer. Même s’il y a eu un film, on n’avait pas envie de transposer ça sur scène. Il fallait trouver notre narration, notre angle, notre point de vue.»

CHARGE ANTI-GUERRE

Quand il parle de The Wall, Dominic Champagne mentionne à quel point il s’agit d’une oeuvre touffue. «Je l’ai abordé comme si je montais Macbeth ou Hamlet. The Wall a cette complexité­là. C’est une charge contre la guerre. C’est aussi une critique et une complainte des grandeurs et misères de la rockstar.»

Dans The Wall, on retrouve le personnage de Pink, une rockstar qui craque. «Il fait une grande dépression, dit Champagne. J’ai voulu mettre en

scène l’histoire de cette chute-là, l’espèce de voyage intérieur. La structure que The Wall impose, c’est une espèce d’éveil de conscience. C’est quelqu’un qui se demande comment ça se fait qu’il en est au point où son fantasme le plus grand, c’est d’édifier un mur entre lui et le reste du monde.»

Au spectacle se rajoutera inévitable­ment une lecture politique, ajoute le metteur en scène. «Roger Waters est un orphelin. La guerre a broyé son père. Il a 73 ans aujourd’hui. Il est riche et célèbre et il n’en est pas encore remis de cette blessure-là. Au coeur de l’oeuvre, il y a aussi une grande charge antimilita­riste, antiguerre. On ne veut pas passer à côté de ça.»

RÉSONANCE ACTUELLE

Écrit à la fin des années 1970, le message de The Wall ne pourrait pas être plus actuel aujourd’hui, fait remarquer Dominic Champagne.

«On se souvient qu’on a célébré la chute du mur de Berlin (en 1989) avec The Wall, dit-il. The Wall en appelle à la destructio­n du mur. On a donc rêvé qu’autour de cette célébratio­n-là, une fois le mur tombé, il y aurait une nouvelle ère de fraternité. [...] Pourtant, depuis, on a bâti plus de murs qu’il y en avait au moment de la chute du mur de Berlin. Il y a des murs partout dans les frontières. Là, on vit une espèce de climat avec (Donald) Trump qui dit qu’il va investir 10 à 12 milliards pour qu’on bâtisse “the brand new wall” (le mur tout neuf). Il y a cette résonance-là dans The Wall.»

CHOCS DE CULTURES

En mariant une oeuvre rock comme The Wall à de l’opéra, Dominic Champagne sait qu’il va ébranler les puristes. «On présume qu’il va y avoir bien des fans de Pink Floyd ou The Wall qui vont venir à l’opéra pour la première fois de leur vie, dit-il. Il y a aussi du monde de l’opéra qui ne connaît pas Pink Floyd. C’est sûr qu’il va y avoir des chocs de cultures, de rencontres. Moi, j’aime ça.»

«Oui, c’est un gros show. Mais en même temps, l’Opéra de Montréal n’a pas les moyens du Cirque du Soleil ou de Roger Waters, mentionne Champagne. On n’est pas à cette échelle-là. C’est loin des moyens que j’ai pu avoir à Vegas avec le Cirque. [...] Je ne veux pas diminuer les attentes. Mais quand tu vas voir un show de Pink Floyd au Centre Bell, tu sais qu’il va y avoir un gros show visuel, que ça va sonner. Ici, on est plus proche de l’Opéra de Montréal que du Centre Bell (rires).» Le spectacle Another Brick In The Wall – L’opéra sera présenté dès samedi, 19 h 30, à la Salle WilfridPel­letier de la Place des Arts. En tout, 10 représenta­tions seront offertes jusqu’au 27 mars. Pour les dates précises: operademon­treal.com.

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Le quatuor principal derrière le spectacle Another Brick In The Wall L’opéra: Alain Trudel (chef d’orchestre), Julien Bilodeau (compositeu­r), Étienne Dupuis (interprète de Pink) et Dominic Champagne (metteur en scène).

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