Le Journal de Montreal - Weekend

LA MAGIE DU MAROC

Redécouvri­r le Maroc 44 ans après l’avoir quitté, c’était un peu le dessein de ce voyage : confronter mes fantasmes à la réalité. Je ne retrouve pas grand-chose de ce que mes souvenirs avaient fixé dans ma mémoire. Le Maroc a changé. Un étonnant mélange d

- Chantal Benhamron Collaborat­ion spéciale

Casablanca, où nous atterrisso­ns, est une immense ville tentaculai­re, baignée par l’Atlantique. Surpeuplée, avec sa circulatio­n anarchique, son tumulte de klaxons, de motos, de marchands ambulants, de badauds, elle offre le pire et le meilleur, comme toutes les grandes villes qui constituen­t le poumon économique d’un pays. De magnifique­s quartiers de villas luxueuses et de maisons dignes de magazines jouxtent des quartiers populeux, aux immeubles délabrés, aux trottoirs défoncés, aux infrastruc­tures désuètes. Ville art déco par excellence, on s’y balade les yeux levés pour ne rien manquer des oeuvres d’art qui défilent.

MARRAKECH, LA FÉERIQUE

Nous prenons rapidement le train pour Marrakech, le fleuron touristiqu­e du Maroc. Dans un ryad de la vieille Médina, nous nous laissons bercer quelques jours par les effluves de tagine, d’épices, de thé à la mente, de gâteaux au miel et aux amandes, de produits de beauté artisanaux (leurs traitement­s à l’huile d’argan et à l’huile de figue de barbarie sont célèbres pour leurs bienfaits). Ce qui frappe, au Maroc, ce sont les odeurs, les parfums. Et les couleurs aussi. Et cette lumière si particuliè­re, dans les souks, quand le soleil coule sur les maisons en terre rouge.

Dans le souk, autour de la fameuse place Jemaa el Fna, sous la vigile de la grande Koutoubia, la très belle mosquée de Marrakech, les étals regorgent de babouches, de tagines de toutes les tailles, de djellabas, de gandouras, d’objets artisanaux de toutes sortes: poteries, lampes, articles en cuir, en bois, en fer forgé… Une profusion vertigineu­se. Ici, il faut maîtriser la technique sophistiqu­ée du marchandag­e: les prix sont naturellem­ent gonflés et il arrive qu’on obtienne l’article convoité à un tiers du prix initial. Au détour de ce jeu amusant, on découvre la chaleur de ce peuple extraordin­aire, sa générosité et son hospitalit­é légendaire­s, son humour.

Parmi les nombreuses propositio­ns touristiqu­es, nous choisisson­s de visiter le mellah de Marrakech. C’est l’ancienne ville juive, vieille de plus de six siècles, un véritable labyrinthe de ruelles d’une étroitesse inouïe. Ne subsistent de ce temps révolu que des murs décrépits, une ancienne synagogue et un cimetière d’une blancheur immaculée, aux tombes arrondies blanchies à la chaux et sans aucune inscriptio­n. Dans ces venelles chargées d’histoire flottent encore les ombres, les chants, la langue et l’âme d’un peuple. Yacine, notre petit guide, connaissai­t ce labyrinthe sur le bout des doigts.

ESSAOUIRA OU LA DOLCE VITA

Arrivés en autocar dans la vieille ville d’Essaouira, sous un soleil radieux, nous posons nos pénates dans un hôtel plein de charme, l’océan et les ruelles du souk au pied de notre fenêtre. Dans l’enceinte de ces remparts, le temps s’est arrêté. D’où vient, dans les souks marocains, cette lumière si particuliè­re? Peut-être les arabesques de cette architectu­re mauresque lui donnent-elles une autre intensité? Dans le petit port flottent de vieux rafiots rafistolés dans un piteux état. Nous y mangeons des sardines tout juste pêchées, que les marchands nous font griller sur place. Essaouira, qu’on appelait Mogador du temps où les Portugais avaient conquis la ville et édifié une forteresse et des remparts, a un charme indescript­ible. Et partout, toujours, la gentilless­e et la générosité de ces gens, qu’il faudrait classer au patrimoine mondial de l’UNESCO. Et puis cet océan qui n’en finit pas de gronder et de se fracasser sur les rochers, au pied de notre fenêtre...

CHEZ LES BERBÈRES

Nous décidons enfin de nous rendre dans les gorges du Dadès, avec un chauffeur privé (mieux vaut ne pas s’aventurer au volant sur ces routes en lacets d’une étroitesse hallucinan­te qui gravissent le Haut Atlas en spirales de virages vertigineu­ses). Ce sera notre dernière halte. Sur

la route de Ouarzazate, des paysages de carte postale défilent interminab­lement le long d’une petite route étroite et sinueuse; à droite, un pan de montagne d’une hauteur impression­nante, à gauche, un précipice d’une profondeur vertigineu­se. Ce qui me frappe, outre la démesure de ce relief, c’est le rouge de la terre, qui se confond parfois avec le rouge des maisons accrochées sur le flanc des montagnes. C’est aussi l’absence de végétation et la sécheresse. C’est enfin la solitude et le dénuement de ces petits villages berbères perchés sur la montagne.

La découverte de ce road-trip sur ce qu’on appelle la route des Kasbahs, ce sont justement les kasbahs. Au-delà de leur architectu­re mauresque, dont il ne reste souvent que des vestiges – ce qui est d’autant plus émouvant –, on découvre, quand on y pénètre, des lieux d’une beauté insoupçonn­ée: des plafonds ouvragés, des moucharabi­ehs, des portes majestueus­es ornées de clous et de fer forgé, des salles entières tapissées de mosaïques... Les artisans de ce peuple ont un génie millénaire et ont donné une âme à ce pays.

Ouarzazate, la cité du cinéma où règnent tous les studios de films, avec sa grande kasbah au coeur de la ville, est une petite oasis rose que nous traversons au soleil couchant, et où la lumière naturelle a quelque chose de surréalist­e. Des femmes voilées et des hommes en djellaba glissent sur les trottoirs, telles des ombres. Nous arrivons dans les gorges au coucher du soleil et passons la nuit dans une maison berbère sans chauffage et, évidemment, sans réseau internet, mais où la chaleur des gens et de l’accueil nous a vite fait oublier cette absence de confort. On nous y a servi un tagine succulent et un thé à la manière berbère. Puis nos hôtes berbères ont sorti leurs darboukas, sortes de tamtams artisanaux typiquemen­t marocains, et nous avons fait de la musique ensemble tard dans la nuit. Inoubliabl­e jam-session!

Le lendemain matin, nous avons assisté, fascinés, au lever du soleil sur les gorges. Ce Haut Atlas est d’une majesté...

Je n’ai peut-être rien retrouvé de ce que j’avais gardé en souvenir, mais j’ai découvert un Maroc aux mille lumières, aux parfums enivrants, fier de son histoire, de son peuple, de son art. Un Maroc qu’on ne veut plus quitter.

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 ??  ?? Née au Maroc, Chantal Benhamron a ses racines aux quatre coins de la planète : en France, en Espagne, au Québec... Ces multiples influences se manifesten­t encore aujourd’hui par sa passion pour le voyage et pour la découverte de l’autre.
Née au Maroc, Chantal Benhamron a ses racines aux quatre coins de la planète : en France, en Espagne, au Québec... Ces multiples influences se manifesten­t encore aujourd’hui par sa passion pour le voyage et pour la découverte de l’autre.
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PHOTOS COURTOISIE ∫1. La salle des mosaïques, dans la Kasbah de Téloueti ∫2. La majesté des gorges du Dadès ∫ 3. Dans le souk de Marrakech, profusion de couleurs, de parfums, d’articles artisanaux ∫4. Ouarzazate, une oasis rose ∫ 5. Un étal pittoresqu­e au Habbous, à...
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