Le Journal de Montreal - Weekend
SE DÉMARQUER DES ONDES CONVENTIONNELLES
Depuis le début des années 2000, on a vu les écrans se multiplier, les technologies se raffiner et se démocratiser, les plateformes de diffusion croître. Bref, les opportunités pour les créateurs de se faire découvrir se multiplient. Si l’avenir est au we
Il y a 5 ans, j’interviewais Eric Piccoli pour Le Journal à quelques heures de son départ pour Cannes. Sa série web, Temps mort, y était nommée aux International Digital Emmy Awards. Temps mort est une chronique d’apocalypse en trois saisons finement tournées sans effets spéciaux, ni zombies. De la dureté humaine à l’état brut dans le bleu de l’hiver! La série s’est d’ailleurs distinguée dans plusieurs festivals internationaux en plus d’obtenir des prix à New York, Banff et aux Gémeaux et d’intéresser une chaîne américaine.
«J’en suis venu au web un peu par hasard, pour repousser les limites cinématographiques et prouver qu’on peut offrir des séries loin de l’idée boboche que certains s’en font», avoue Piccoli. «Pour regarder Temps mort, il faut être prédisposé. Des séries comme celles-là se placent dans l’horaire des gens, prennent le temps de raconter une histoire. On n’est pas en compétition avec les capsules drôles, les fails ou les YouTubers qu’on regarde pendant l’heure du midi. Aux États-Unis, plusieurs consomment directement sur iTunes et Netflix connaît une visibilité accrue même si pour beaucoup de gens, ça reste de la série télé. Je ne comprends pas pourquoi le web est encore mal vu.»
Piccoli et Babel Films sont aussi derrière le succès de Projet M, une websérie de science-fiction mettant en vedette JeanNicolas Verreault et Julie Perreault. La série retrace l’expérience de quatre astronautes en orbite testant un voyage de longue durée. Hébergée d’abord sur le site de Ztélé, cette websérie, aussi produite en format long-métrage, a conquis plus de 70 territoires dans le monde. «La science-fiction gagne ses lettres de noblesse dans le drame et on le voit même au cinéma avec des films comme L’arrivée de Denis Villeneuve», poursuit Éric Piccoli. «Les festivals comme SPASM ou Fantasia rassemblent des milliers de fans mais à l’international, des millions de gens consomment de la science-fiction. Les genres se diversifient dans le web. Si à la télé, les diffuseurs prennent moins de risque, le web demeure encore un laboratoire où tu peux essayer des choses et j’aime créer des projets moins convenus.»
DÉFIS POUR L’AVENIR
Malgré ces réussites, Éric Piccoli reste lucide: «Il y a un manque d’argent évident. Des bailleurs de fonds s’ajoutent, mais ce n’est pas assez. En web, on arrive à faire des miracles avec peu d’argent mais à long terme, ce n’est pas un modèle d’affaires viable. Il faut assurer la création d’oeuvres diversifiées et de qualité. Il y a une expertise à développer. Un créateur web finit par porter tous les chapeaux. C’est à la fois inspirant et épuisant. Et avoir un diffuseur est un prérequis pour ne pas se perdre dans la mer de contenus disponibles. Je ne sais pas où ça s’en va tout ça, mais il faut trouver un moyen d’être rentable tout en continuant à grandir, à prendre des risques, à repousser les frontières du Québec et surtout en demeurant authentique.»
Éric Piccoli planche actuellement à titre de réalisateur sur la deuxième saison de l’excellente websérie L’écrivain public, écrite par Michel Duchesne, dont il a produit la première saison. Une oeuvre profondément humaine et actuelle dans laquelle on suit un jeune écrivain venant en aide, avec sa plume, aux plus vulnérables en proie à des problématiques souvent touchantes. Il caresse aussi le désir de faire un long-métrage.
Adolescente, Camille passait déjà une bonne partie de son temps comme comédienne sur les plateaux. Puis, au cégep, elle a commencé à s’initier à la production. En créant sa compagnie, Coton & Club, elle avait envie d’offrir une voix à de jeunes créateurs qui n’ont pas la chance d’être vus à la télévision. C’est une fonceuse qui n’a pas choisi l’option facile, mais qui met tout en oeuvre pour promouvoir la nouvelle génération. «Un de nos premiers projets, Nouvelle
administration, avait été autofinancé. C’est ce qui est difficile dans le milieu: les offres se sont multipliées mais les moyens financiers n’ont pas changé. Les fonds sont restreints. C’est un combat de tous les jours. D’autant plus qu’aujourd’hui, on se bat aussi avec des grandes boîtes qui développent maintenant pour le web.» Nouvelle administration est une websérie humoristique déjantée à l’image des sitcom des années 90 à la
Seinfeld. «C’est un ovni, avoue-t-elle. C’est La petite vie des hipsters!»
Indépendante, Camille continue de convaincre des diffuseurs et a vu Canal + en France s’intéresser à quelquesunes de ses productions. «Certains diffuseurs sont géolocalisés au Canada et ne permettent pas la visibilité de nos oeuvres hors frontières. En s’associant à une boîte qui représente d’autres territoires, on leur donne une autre vie. On sent beaucoup d’intérêt du côté de la France parce qu’on leur offre la qualité américaine au prix québécois.» Camille a aussi récemment produit Le
temps des chenilles, avec l’excellente Karelle Tremblay, qui a reçu l’aide du FIP et de TV5 et qui figure parmi les nommés au prochain gala Numix. On peut aussi la voir comme comédienne dans Switch and
Bitch, très populaire sur Tou.tv, qui met en scène une gang de filles sans filtre.
Véritable touche-à-tout, Mathieu a été vu comme comédien dans Rock et Rolland, notamment, et Fatale-Station plus récemment. Parallèlement, il a développé une expertise en réalisation et en scénarisation. Son nom figure au générique de plusieurs séries web dont L’Étrange province, une série d’exploration fantastique, et La brigadière, avec Valérie Blais, toutes deux développées pour le site de TVA. Du côté de Tou.tv, il réalise l’amusante série L’ascenseur, dans laquelle un homme souffrant de phobie sociale tente, en guise de thérapie, de monter tous les étages d’un ascenseur. Mais son plus grand défi demeure Mouvement deluxe, une websérie disjonctée en stop-motion, nommée aux prochains Numix et présentée dans des festivals européens. La série met en vedette de petites marionnettes pour les grands complètement irrévérencieuses. «Mouvement
deluxe, c’est deux ans de ma vie», avancet-il. «C’est ce qui est le fun du web, on peut explorer des trucs plus éclatés, aller sur des terrains moins connus. Mouvement
deluxe, c’était pas drôle sur papier. C’est de l’humour de montage fait pour être consommé rapidement. On se bat contre des vidéos de chats et des chutes à bicyclette! C’est un ton désinvolte mais fait avec beaucoup de rigueur.»
Handfield constate aussi que le financement n’est pas encore totalement au rendez-vous et que le web est non seulement en train de se développer, mais de s’adapter à une nouvelle réalité incluant plus de joueurs, donnant du prestige et des façons différentes d’en assurer la diffusion.
Mouvement deluxe possède d’ailleurs sa propre plateforme de diffusion.