Le Journal de Montreal - Weekend
La dernière offrande d’une légende
Chuck
Cette sortie est-elle importante pour vous?
«C’est une grosse affaire pour la famille. Est-ce que j’ai des sentiments douxamers? Bien sûr. L’idée générale pour mon père était de sortir cet album, de présenter son travail au monde. L’album sort finalement, mais il n’est pas là pour le voir. C’est douloureux. Il a travaillé longtemps là-dessus. Mais au moins, le monde entier peut l’apprécier. Je crois que ses fans vont vraiment l’aimer. C’est un très bon album.»
En écoutant l’album, on a immédiatement l’impression d’écouter un disque classique de Chuck Berry. Pourquoi?
«En effet. C’est un album de Chuck Berry! En l’écoutant, personne ne peut se demander qui joue. C’est Chuck Berry! De la façon dont il chantait et jouait de la guitare, on le reconnaissait immédiatement. En écoutant l’album, ça sonne familier, mais ça sonne aussi nouveau, car c’est du matériel jamais entendu. Je crois que les gens vont aimer ça, car ils auront du Chuck Berry, mais avec une perspective différente.»
Pourquoi cela a-t-il pris autant de temps avant que l’album voit le jour?
«Eh bien, après que l’album Rock It a été lancé, en 1979, mon père est retourné en studio et il s’est mis à enregistrer de nouveau. Il s’est bâti un nouveau catalogue de chansons. Les années ont passé et en 1989, il y a eu un incendie. Le feu a détruit le studio et toute la musique qu’il avait enregistrée. Il a dû recommencer à zéro. Quelques années plus tard, le studio a été reconstruit et il a recommencé à enregistrer de nouvelles pièces. Ce qui paraît aujourd’hui est une combinaison de chansons qu’il avait créées avant l’incendie et d’autres après.»
Malgré tout, après l’incendie, cela a tout de même pris plus de 25 ans avant qu’il ne lance ce disque. Pour quelle raison?
«Parce qu’il n’était pas pressé! Mon père a continué à faire de la tournée intensément au cours de ces années. Il avait aussi d’autres entreprises dans l’immobilier. En 2014, il s’est finalement dit qu’il devait sortir ces chansons.»
Vous avez travaillé vous-même sur l’album?
«Oui, en fait, il y a quatre membres de la famille Berry sur l’album. En plus de mon père, on y retrouve ma soeur, Ingrid, moi-même et mon fils, Charles Berry III. Ingrid fait quelques duos avec mon père. J’ai aussi enregistré quelques chansons avec lui.»
«CHUCK BERRY N’ÉTAIT PAS MON PÈRE, C’ÉTAIT UN ENTERTAINER PROFESSIONNEL. MON PÈRE ÉTAIT CHARLES EDWARD BERRY SR.» – Charles Berry Jr.
Jusqu’à quel point cette création familiale a été émouvante pour vous?
«J’ai fait partie du groupe de mon père pendant plus de 14 ans. C’était vraiment intéressant de faire les concerts avec lui. Mais l’émotion est sortie quand l’occasion s’est présentée pour que mon fils de cinq ans participe à l’album. J’ai eu une fierté et une joie absolue de savoir que mon fils serait sur l’album. C’était la même fierté que celle que j’avais d’être dans le groupe de mon père avec ma soeur. Je sais que mon père adorait nous avoir avec lui. C’était aussi ma première expérience d’enregistrement avec mon père. J’avais passé des années sur scène avec lui, mais je n’étais jamais allé en studio. Tout ce que je voulais, c’était que mon père soit fier de ce que je faisais.»
Chuck Berry est décédé en mars dernier. Quel héritage a-t-il légué à la musique, selon vous?
«Il a laissé une oeuvre que les gens écoutaient déjà et qu’ils continueront d’écouter, avec Chuck. Sa musique continuera d’être entendue. Le meilleur exemple est l’enregistrement de la chanson Johnny B. Goode qui est dans l’espace, sur le programme
Voyager. Depuis 60 ans, mon père a laissé de la musique pour les gens. Il n’y a pas beaucoup d’artistes comme mon père qui ont eu autant de visibilité de façon permanente. Les gens qui vont voir aujourd’hui des concerts des Rolling Stones, The Grateful Dead, Green Day ou AC/DC, ces groupes jouent encore des chansons de mon père. C’est ça, son héritage. C’est quelque chose qui va perdurer, parce qu’il y a un attrait unique. Les artistes invités sur l’album Chuck (Tom Morello, Nathaniel Rateliff), ils aident aussi à garder sa musique en vie. Du point de vue de mon père, il ne faisait que jouer de la musique qu’il aimait, pour que les gens l’apprécient. Il voulait que ce soit vrai.»
Comment était-ce de grandir avec un père qui est une légende de la musique?
«Quand j’étais un jeune garçon, à l’école primaire, j’ai su assez rapidement que c’était préférable de ne pas me vanter de qui était mon père. En première ou deuxième année, le professeur demandait à chaque élève ce que son père faisait comme travail. Tout le monde répondait facteur, docteur ou pompier. Rendu à mon tour, j’ai répondu: mon père est le roi du rock ‘n’ roll! Des jeunes m’ont battu. Je ne comprenais pas, car c’était ça que les gens disaient à propos de mon père! Quand tu es jeune, tu ne fais que répéter ce que tu entends. En grandissant, je me suis rendu compte que ça ne faisait aucune différence. Chuck Berry n’était pas mon père, c’était un
entertainer professionnel. Mon père était Charles Edward Berry Sr. Nous essayions de mettre de côté l’aspect célèbre de Chuck Berry. Parfois, en rencontrant des gens, je remarquais s’ils voulaient être amis avec moi pour qui j’étais ou bien si c’était à cause de mon père. Je n’ai jamais utilisé le nom de mon père à mon avantage. Tu ne peux pas vivre uniquement avec la célébrité de tes parents.»
Comment était Chuck Berry comme père?
«Il était le meilleur père que l’on puisse imaginer. Il était drôle, amusant et toujours prêt à partager sa sagesse sur la vie. Il était toujours là pour nous. [...] Il protégeait ma mère sans limites. Peu importe ce qui s’est passé dans sa vie, rien ne l’a arrêté d’aimer ma mère. Ils ont été presque 69 ans ensemble.»
Vous avez tourné avec Chuck pendant plusieurs années. Avec le nouvel album sur le marché, y a-t-il une possibilité que vous jouiez les nouvelles pièces sur scène?
«Il y a plein de groupes hommages qui font la musique de mon père. Est-ce que nous allons jouer nous-mêmes cet album? Je ne le sais pas. Je ne peux pas donner de réponse précise. Personnellement, je crois qu’il faudrait que ce soit quelque chose de vraiment spécial. Si je monte sur scène pour faire les chansons, les gens pourraient très bien dire: “il ne fait qu’exploiter son père qui vient juste de mourir, il essaie juste de faire un coup d’argent”. Je ne le ferais tellement pas pour ça! Je le ferais parce que je juge que la musique de mon père doit être jouée et entendue. Ce serait un défi de taille pour moi de sauter dans l’arène. Je ne dis pas que ça n’arrivera pas ni que ça va arriver. Je ne le sais juste pas.»