Le Journal de Montreal - Weekend
FILLES DE MAUVAISE INFLUENCE
Les filles peuvent être dures entre elles. De plus en plus dures. Nos filles immergées dans la culture américaine plongent dans des univers cinématographiques et télévisuels où la compétition et la méchanceté sont souvent mises de l’avant. Ces bitchs de s
EMMANUELLE PLANTE Collaboration spéciale
Scream Queen, 13 Reasons Why, Riverdale, Pretty Little Liars, Gossip
Girl, Beverly Hills 90210, presque toutes les séries américaines s’adressant aux préados et aux adolescents des dernières décennies mettent en scène des personnages de filles vaniteuses, manipulatrices, méchantes, compétitives. De véritables bitchs, dans le langage populaire. Si ces antagonistes occupent une place privilégiée dans les propositions de nos voisins du sud, elles sont peu présentes dans les propositions des auteurs d’ici. Pensons à Tactik,
Subito Texto, Le Chalet ou Jérémie, où l’harmonie est plutôt au rendez-vous. Seule la série 30 vies montrait des jeunes en situations conflictuelles. Sommes-nous déconnectés ou, au contraire, plus près de la réalité?
«D’abord, il est important de ne pas généraliser, nous rassure Jasmin Roy qui a analysé la violence chez les filles pour rédiger son livre #Bitch paru aux Éditions de l’Homme. La violence qui caractérise ces filles est issue d’un problème relationnel. Sept à 8 % des jeunes concernées vont être des agresseuses, les autres vont suivre en témoins silencieux. Ce sont les filles les plus à risque d’être influencées par ce qu’elles voient, car elles n’ont souvent pas d’encadrement parental pour ouvrir le dialogue sur ce qui est de la fiction et de la réalité.»
SOCIÉTÉ PACIFIQUE
«Plusieurs facteurs définissent les personnages que l’on développe, note Vicky Bounadère, productrice et cofondatrice des Productions Passez Go, à qui l’on doit Juliette en direct, Quart de vie et Le
chalet, gros succès de la chaîne Vrak. On travaille d’abord à l’instinct pour le bien de l’histoire, puis selon le mandat du diffuseur.»
Pour Le chalet, on retrouve une gang unie, des amis qui se sont choisis et qui se rejoignent dans un lieu isolé. L’arrivée d’une nouvelle coloc dès la saison 1 a été l’élément perturbateur nécessaire pour faire évoluer une histoire. On n’avait pas à aller dans les clichés de l’antagonisme.
«Je pense aussi qu’au Québec, on n’est pas un peuple qui vit dans la confrontation, constate la productrice. Ceci étant dit, on aime encore détester Séraphin et Lyne-la-pas-fine des Invincibles est à mon avis un des antagonistes les mieux réussis. Nos histoires font état de la réalité. Elles bénéficient d’avoir des antagonistes complexes et pas seulement avec des défauts. Dans la vie, rarement un individu est juste une chose. «Pour notre prochaine série, L’académie (en développement pour le Club Illico), il y aura un antagoniste féminin fort et défini dans la tendance teen drama à l’américaine. Comme l’action se déroule dans une école, ça s’inscrivait bien dans le contexte de l’histoire, parce que les personnages n’y sont pas systématiquement amis. Mais on a pris soin de développer avec l’auteure, la réalisatrice, la comédienne un personnage qui n’était pas unidimensionnel et qui s’apparente
à nos valeurs. Son passé va justifier ses comportements», explique Vicky Bounadère. RUMEURS, POTINAGE, ESTIME
«Des personnages de bitchs dans les séries, ça ne date pas d’hier, constate Jasmin Roy, dont les conférences traitent régulièrement de la violence chez les jeunes filles. J’ai joué dans
Chambre en ville et Lola était quelque chose. Et le public l’aimait. Ce qui est dommage c’est qu’on ne parle pas assez de la violence entre les filles. C’est pour ça que j’ai écrit mon livre, pour ouvrir la discussion.»
«Je le vois dans les écoles, les filles qui manquent d’encadrement parental et qui se tiennent en groupe en viennent parfois à exercer une mauvaise influence comme on en voit dans les séries. Elles deviennent des leaders négatives, utilisent des mots comme pute, salope, bitch même quand elles s’aiment. Elles vont socialiser par la violence et la pression est très grande chez les filles pour se faire aimer. On s’étonne après qu’elles acceptent des relations dysfonctionnelles avec les gars. Et c’est là que partent les rumeurs, le potinage, et que se développent les problèmes d’estime.»
«On a travaillé sur la violence chez les garçons, mais celle des filles est indirecte, donc plus difficile à détecter. Et elle fait des ravages. On a un malaise à parler de ça», affirme-t-il. Pourtant, elle est dépeinte au petit écran des nombreuses productions américaines. SUSCITER LA DISCUSSION
«C’est un problème de société qu’on retrouve dans toutes les sociétés occidentales et c’est primordial d’accompagner nos jeunes là-dedans, renchérit Jasmin Roy. Les médias sociaux comme la télévision ont le dos large. Les comportements décrits sont issus de problèmes relationnels. C’est par là qu’il faut commencer à agir. Par un encadrement parental et l’ouverture au dialogue.»
Vicky Bounadère s’inscrit aussi en ce sens. «On n’a pas le mandat d’éduquer. On veut susciter des émotions et des discussions. Dans un autre ordre d’idée, dans Le chalet, il est question d’homosexualité et des ados nous ont dit avoir été capables de faire leur coming-out et avoir eu le soutien d’amis. Un personnage lâche l’école, mais choisit de se lancer en affaires. On voulait montrer qu’il y a plusieurs façons de bâtir sa vie. Chez Passez go, nous avons une responsabilité envers notre auditoire, quel que soit son âge. Nous sommes conscients que nous nous adressons à un public qui se construit.»
«À l’adolescence, conclut Jasmin Roy, on explore et on déroge des règles. L’exploration, c’est normal, mais la dérive, non.»