Le Journal de Montreal - Weekend
20 ans pour La fin du monde est à 7 heures
Rétro télé
La fin du monde aura duré 3 saisons et on en subit toujours heureusement les retombées. Ses protagonistes, Stéphane Laporte en tête, baveux et plein d’audace, sont toujours bien présents sur nos ondes. Nous avons embarqué dans leur façon de voir l’actualité avec d’autres lunettes, déformantes au premier abord, mais finalement éclairantes. La fin du monde est à 7 heures a été diffusée de 1997 à 2000 à TQS, le mouton noir. Vingt ans plus tard, elle demeure une émission culte qui a vu éclore une méchante gang de talents, devant comme derrière la caméra.
La fin du monde s’est annoncée par la volonté de Stéphane Laporte de créer une option aux bulletins de nouvelles conventionnels. « Ce n’était pas juste humoristique. C’était une tribune pour faire du journalisme, faire de l’humeur. Comme si Bernard Derome avait fumé un joint. C’était du journalisme débridé, drôle, mais recherché », affirme le créateur à l’origine du concept.
« Stéphane Laporte a toujours eu du flair, note Patrick Masbourian. Lors de notre rencontre, il avait touché une corde sensible. Il m’avait dit, on veut faire un Canard
enchaîné (hebdomadaire satirique français) télévisuel. C’était la lecture de chevet de mon père. Et avec La fin du monde, on a adopté la technique Michael Moore. On faisait la démonstration des choses, une tendance aujourd’hui très actuelle. »
« On partait de vrais faits qu’on traitait différemment, renchérit Jean-René Dufort qui y a fait ses débuts à la télévision. Aujourd’hui, il y a plus d’information spectacle, plus d’éditorial, le mélange des genres est plus présent qu’à l’époque. Et on avait les mêmes contraintes de temps que les nouvelles. On revenait de tournage, mon caméraman devait monter le topo pendant que je conduisais. Il me flanquait le micro sur le tableau de bord pour que je fasse mes
voice over !» La fin du monde est à 7 heures est donc rapidement devenu un terrain de jeux pour se produire en toute liberté. À condition d’avoir les bons complices…
DU TALENT À REVENDRE
Stéphane Laporte a pris 6 mois pour dénicher ceux avec qui il allait faire les 400 coups, dont Marc Labrèche a qui il a confié l’animation du rendez-vous quotidien. « La fin du monde est une addition de talents et j’en suis vraiment fier. Marc est un véritable génie. On le connaissait comme comédien et il faisait des chroniques à Beau et chaud, mais c’était sa première animation. Il a
tripé sur le concept. » « C’est à La fin du monde que sont nées Les jumelles (personnages mythiques de Labrèche), se souvient Marie-Josée Lévesque, réalisatrice du plateau de la première saison. On ne reprenait jamais plus de deux fois les prises. Marc improvisait souvent. C’est aussi là qu’il a développé les moments où il ne se passe rien, où il laisse le malaise s’installer. Ça me faisait tellement rire. Il y avait un petit côté tout croche. Et Marc aimait qu’on le surprenne. On le voyait avec les chroniques sportives de Paul Houde et son Nostradamouse notamment. Ses affaires ne marchaient jamais, c’était délirant. »
Derrière la caméra, Dominique Chaloult était productrice déléguée, Richard Gohier et Marc Brunet, scripteurs, Marie-Soleil Michon, Rafaële Germain et Jacinthe Laporte, recherchistes. Et on se souvient tous de la chanson thème créée par Jean Leloup. En ondes, les collaborateurs ont fait leur marque.
« Isabelle Maréchal, je la voyais aux nouvelles à Radio-Canada et je savais qu’elle avait un côté enflammé, relate Laporte. Patrick Masbourian, j’aimais ses reportages à La course autour du monde et à Musique Plus, Bruno Blanchet faisait déjà des personnages complètement fous à Canal famille, Paul Houde était un excellent morning man. J’ai pu aller chercher des visages moins connus comme Jean-René Dufort qui n’avait jamais fait de télé, mais qui avait signé un dossier sur les médiums pour le Protégez-vous dans lequel il infiltrait l’équipe de Jojo Savard.
Je me suis dit : c’est ça, La fin du monde. »
BOUSCULER ET FAIRE RÉFLÉCHIR
Jean-René avait été engagé comme recherchiste et faisait une chronique par semaine. Comme Manuel Foglia (cinéaste et documentariste) ne respectait pas ses deadlines, il a été promu. « Le rédacteur en chef, Pierre-Louis Laberge, s’est exclamé en demandant s’il y avait quelqu’un dans la salle qui savait faire des topos. J’ai menti et j’ai levé ma main. » Jean-René s’est donc retrouvé le jour même à faire un reportage, conseillé par Paul Houde, sur les policiers de boyaux d’arrosage de Lachenaie.
« À Radio-Canada, j’étais déjà pétée, rigole Isabelle Maréchal. Ce qui m’a occasionné quelques rencontres avec mes patrons. Stéphane a vu que j’étais créative avec mon profil journalistique. On faisait du story telling avant la tendance, mais la démarche était la même que celle des nouvelles. En meeting le matin, on ne savait pas ce qu’on allait couvrir. Lors du verglas, j’ai joué la fée des glaces, j’ai crashé une conférence de presse de Loto-Québec lors de la présentation d’une gagnante, faisant croire qu’elle était une amie, pour montrer ce qui attend les nouveaux millionnaires. La fin du monde a formé mon esprit critique. On bousculait, mais on faisait aussi réfléchir. »
« Un de mes souvenirs marquants reste l’émission que nous avons faite lors des élections du 30 novembre 1998, évoque Stéphane Laporte. On allait à contre-courant de ce qu’on voyait sur les autres chaînes. Un grand coup. C’est dans cette émission-là qu’on a vu Jean-René voter 5 fois. » Reportage qui avait mené à faire changer la loi.
ALLERGIQUES AUX NORMES
« On était allergiques aux lignes officielles de communication, explique Patrick Masbourian. On était prêts à défoncer des portes pour faire les choses autrement. Il nous arrivait de foutre le bordel. La face des gens changeait parfois quand ils voyaient notre camion débarquer. Pour le pilote, j’ai magasiné la maison que les Hells Angels vendaient à St-Nicolas, j’ai couvert des law games, j’ai essayé de rentrer dans le studio d’Howard Stern à NY quand il était diffusé ici. Dans la vague des graffitis dans le métro, alors que la STM annonçait dépenser 70 000 $ et que tous les médias interviewaient la porte-parole, nous on a fait un estimé avec un gars de nettoyage pour montrer l’excès de dépenses. J’ai même fumé du pot en ondes parce que mon boss l’exigeait ! Inversement, quand il y a eu la catastrophe aux Éboulements et qu’on m’a affecté aux funérailles, parce que c’était de l’actualité, je capotais dans le camion. Je ne voulais
pas manquer de respect, fallait que je trouve un angle. J’ai décidé de couvrir le cirque médiatique avec une empathie sincère. Quand on m’a félicité pour mon topo, j’ai eu des frissons. »
Quand La fin du monde s’est terminée, l’équipe s’est scindée, donnant naissance au Grand blond avec un show sournois et à Infoman, laissant en héritage aux protagonistes une façon de faire hors-norme. Isabelle Maréchal travaille toujours avec la même drive, Patrick Masbourian dit avoir développé une intuition pour le nobullshit, même chose pour Jean-René Dufort qui conserve son indépendance et son côté baveux. Tous en gardent d’excellents souvenirs et un désir de se retrouver. La chimie était parfaite. Mais La fin du monde pourrait-elle avoir encore sa place dans notre société aseptisée d’aujourd’hui ? « Plus que jamais », confirme Stéphane Laporte.