Le Journal de Montreal - Weekend

LA MUSIQUE DONT ON SE SOUVIENT

-

Je me souviens du spectacle de Lorde du 3 août 2014, en clôture d’Osheaga. Elle était seule sur scène, l’éclairage était mauve et il y avait tellement de fumée que je distinguai­s à peine son visage.

Quand je l’ai vue arriver, sans danseurs, les musiciens tellement en retrait qu’on ne les voyait même pas, je me suis demandé comment elle allait réussir à garder l’attention des milliers de festivalie­rs.

Elle a commencé à chanter, puis à danser. Elle a une façon très étrange de danser. Pas très jolie. Avec sa grosse tignasse frisée qui virevolte dans tous les sens, elle avait l’air d’une sorcière qui fait du headbang (l’action de se secouer la tête d’avant en arrière) sur du heavy metal.

Elle a chanté Buzzcut Season, ma chanson préférée. J’avais l’impression d’être seule avec elle, perdue dans un nuage de fumée mauve. Le spectacle s’est terminé comme il se doit, dans une pluie de confettis.

LA POÉSIE DU TEMPS

J’ai longuement réfléchi à ce qui fait qu’un concert est mémorable ou pas et j’en suis venue à la conclusion que c’est la capacité d’un artiste à créer des souvenirs qui importe.

Les mots de Lorde sont des images, comme ces moments qu’on partage sur Instagram pour se rappeler qu’on les a vécus. Pour les revivre sans cesse et les aimer encore plus. Un silence, un chuchoteme­nt, un regard errant capturé à l’insu de tous : ces entre-moments, comme de petits bonheurs invisibles dont on apprend l’existence après-coup.

Elle évoque la nostalgie des derniers jours d’été. Voir le soleil se lever alors qu’on ne s’est pas encore couché et réaliser qu’on a vieilli d’une journée. Faire l’amour une dernière fois avant de se quitter.

Voir le monde changer, voir le temps passer, se sentir impuissant. Comme un train qui ne prend pas le temps de s’arrêter pour nous faire monter. On cligne des yeux et il a disparu. On l’a manqué. On a vieilli d’une journée. D’un an. De dix ans.

J’AI ESPOIR

Je ne sais pas si on se souviendra de la musique de Lorde dans 50 ans comme on se souvient de celle des Beatles ou de Bob Dylan. Le contexte culturel a tellement changé qu’il serait malhonnête de jouer aux comparaiso­ns.

Mais je sais que je me souviendra­i de ce spectacle, des confettis, de la lumière mauve et de cette urgence de vivre qui m’a prise à la gorge.

Et tant que la musique continuera de créer des souvenirs, j’aurai de l’espoir.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada