Le Journal de Montreal - Weekend

L’AMOUR ET L’ARGENT

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Louise Forestier protège sa vie privée, et pourtant elle en a partagé les moments les plus difficiles avec le public. Sa chanson La saisie mettait à nu la fragilité financière des artistes, la sienne comme celle des autres. Écrite dans les années 70, elle reste d’actualité.

« La situation des artistes a toujours été très, très précaire, surtout ici avec les droits d’auteur qui étaient à peine respectés, et qui maintenant le sont encore moins. C’est terrible de nos jours. Mais les jeunes ont des armes que moi je n’ai plus. Ils se débrouille­nt. Mais ils vivent pas riches, et les belles années, c’est plus 1015 ans, c’est cinq ans. Une carrière comme la mienne, c’est à peu près impossible maintenant. »

Elle vit donc bien aujourd’hui, dans son appartemen­t lumineux du PlateauMon­t-Royal ? « Tout ce que j’ai, c’est ça ! Et c’est pas fini de payer : j’ai une hypothèque parce que j’ai pas pu acheter ma première maison avant 59 ans… Et c’est grâce à Isabelle Boulay. Elle a chanté Jamais assez loin, que j’ai écrite avec Zachary Richard, sur Mieux qu’icibas et elle a vendu un million et demi d’albums en Europe ! Merci Isabelle ! Mais maintenant, plus personne vend comme ça… »

C’est pourquoi La saisie, avec son piano à protéger, a traversé le temps et qu’elle l’a toujours chantée : « Cette chanson-là c’est comme ma doudou : je la traîne partout, elle ramasse la poussière de la vie, les taches de sang, les flaques d’eau, le sable des plages… »

Et la vie, parfois, a été lourde à porter. Louise Forestier ne s’en est pas cachée : elle a fait deux dépression­s, dont une majeure au début des années 90. Elle a d’ailleurs participé au documentai­re La dépression à tue-tête, d’Hélène Magny, diffusé l’an dernier. Elle a tenu à s’en sortir sans médicament­s, avec l’aide d’une neuropsych­ologue, histoire de ne pas engourdir le mal, mais de lui faire face. « Comme pour le reste, je me suis dit : “OK, on clenche, pis on y va !” »

Mais ç’a été toute une épreuve : « C’était horrible. Horrible ! Si j’avais pas eu mon fils Alexis, je pense que je serais passée par-dessus la rampe. »

Famille dépressive, fatigue, ménopause, peine d’amour, tout se mélangeait. L’amour notamment lui a joué bien des tours, à elle, la femme si forte d’apparence : « Dans ma tête, j’étais d’un romantisme très 19e siècle. C’était pas possible de vivre mes histoires, j’étais trop exaltée. Je me suis battue de l’intérieur ! Alors la première parole que j’ai dite en thérapie c’est : “Madame, je suis deux et je voudrais être une, parce que là, je suis ben fatiguée !” »

Et maintenant, est-elle bel et bien « une » ? « Oui, et j’aimerais ça rencontrer “un” ! » Elle rit, les yeux pétillants, mais prévient : « Mais un fan fini, ça ne m’intéresse pas. Et je veux pas vivre le quotidien avec quelqu’un. Comme disait Virginia [Woolfe], à chacun sa chambre. À chacun son espace. Mieux : à chacun son appart dans le même building. »

Toujours la même ligne de vie : Pas d’choker, pas d’collier, comme le dit l’une de ses chansons, devenue soustitre de son autobiogra­phie

Forestier selon Louise, parue en 2012.

Mais au besoin de liberté s’est ajouté l’apaisement. Elle n’a plus envie de bouger, d’être dans ses valises. Sa main balaie la grande pièce ouverte, surplombée d’une mezzanine, où paresse son chat : « Je suis bien ici, et j’ai mon atelier en face, l’autre bord du parc. »

Et puis, il y a ses voisins, avec qui elle s’occupe de la ruelle verte, autre façon de donner aux autres. Inspiré de son récent rôle dans La Bonne Âme du Se-Tchouan, l’un d’eux l’a d’ailleurs surnommée « la bonne âme » de l’immeuble. « J’ai trouvé ça touchant. »

Nulle nécessité de l’adoration des foules quand on a l’amitié des gens.

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