Le Journal de Montreal - Weekend
LE CONTE DE FÉES INACHEVÉ DU BOLDT CASTLE
Il était une fois un millionnaire américain à ce point épris d’amour pour sa femme qu’il lui a fait construire un château au milieu de la rivière des Mille-Îles. Mais le destin voulut qu’aucun d’eux ne voie ce projet fou se matérialiser.
Colossal et majestueux, le château de Boldt domine la baie d’Alexandria, juché sur son île luxuriante de végétation. Si ce n’était du drapeau à bandes étoilées pour nous rappeler que nous sommes au pays de l’Oncle Sam, le pittoresque tableau aurait pu se dérouler dans la vallée du Rhin en Allemagne.
Cette somptueuse demeure de l’État de New York est née de l’esprit romanesque de George Boldt. Le grand patron de l’hôtel Waldorf-Astoria souhaitait en faire cadeau à son épouse Louise Kehrer. Lancée en 1900, sa construction requiert les efforts de 300 ouvriers. Les sculptures, les tapisseries et les meubles sont importés d’Europe. Boldt dépense sans compter. Le conte de fées vire au drame lorsque Louise meurt en 1904. Le coeur brisé, son époux ordonne la fin des travaux et ne mettra plus jamais les pieds sur l’île. TÉMOIN D’UNE ÉPOQUE
À la mort de Boldt, un homme d’affaires se porte acquéreur du château, mais les lieux seront vite laissés à l’abandon. Dans les années 1970, l’autorité propriétaire du pont des Mille-Îles rachète la propriété pour la symbolique somme de 1 $ et se donne la mission d’en achever la construction, conformément aux plans d’origine. Pièce par pièce, l’illustre demeure prend forme au grand bonheur des touristes. Au moment de notre passage, des ouvriers poursuivaient leurs travaux dans la tour Alster. Les quelques dizaines de visiteurs présents ce jour-là se promènent d’un pavillon à l’autre, détaillant la richesse des lambris et contemplant les vitraux du hall d’entrée. Grâce à des meubles originaux et des répliques, les pièces mettent habilement en scène le style de vie des gens fortunés du début du XXe siècle. L’opulence des lieux est frappante. On imagine sans peine les dames se promener en robe d’été dans le jardin italien tandis que ces messieurs fument le cigare dans la bibliothèque. Le château est l’éloquent témoin d’une époque où toute une génération de selfmade-men venait passer leurs étés en famille dans la région des Mille-Îles. Né sur une île de la mer Baltique, Boldt débarque aux États-Unis à l’âge de 13 ans. Le jeune Prussien travaille d’abord dans les cuisines d’un hôtel avant de gravir rapidement les échelons du rêve américain. Il devient le directeur du Bellevue-Stratford, puis du Waldorf-Astoria, inaugurés alors que l’Amérique vit une ère de prospérité sans précédent. L’homme redéfinit la façon de recevoir les visiteurs et certaines de ses innovations, comme le service aux chambres, figurent toujours parmi les standards de l’industrie. C’est en servant les millionnaires qu’il finira par devenir l’un d’eux.