Le Journal de Montreal - Weekend
UNE OEUVRE BOULEVERSANTE
Un film de Robin Campillo. Avec Nahuel Pérez Biscayart, Arnaud Valois et Adèle Haenel ISABELLE HONTEBEYRIE
Impossible d’oublier ce film puissant et poignant sur le sida, long métrage choisi par la France pour la représenter aux Oscars.
L’amour, dans ce Paris des années 1990, c’est aussi la mort. L’épidémie du sida fait des ravages, le gouvernement ne fait rien – les campagnes de prévention sont encore inconnues –, les laboratoires pharmaceutiques en profitent pour s’en mettre plein les poches et tenir les malades dans l’ignorance, tout en s’en servant comme cobayes. PARENTÉ DE LONGUE DATE
Le réalisateur et coscénariste Robin Campillo est un fréquent collaborateur de longue date de Laurent Cantet (l’excellent Entre les murs) et la parenté entre les deux hommes se remarque immédiatement. Car Robin Campillo privilégie une approche documentariste, s’attardant sur les réunions du groupe Act Up-Paris, en montrant la mécanique interne dans tous ses détails.
L’association met sur pied des happenings-chocs, lançant du faux sang à la tête de médecins et politiciens, barbouillant de rouge les murs d’un laboratoire pharmaceutique, distribuant illégalement des tracts de prévention dans les écoles secondaires, saupoudrant les collations d’une réunion des cendres d’un mort du sida. Ce contexte politique et social montre l’urgence d’agir, l’urgence de faire entendre sa voix, l’urgence de dénoncer l’inertie. Heureusement pour le spectateur, Robin Campillo ne se concentre pas que sur les actions d’Act Up, toutes flamboyantes sont-elles. FORT ET BOULEVERSANT
La véritable urgence, c’est celle de vivre, celle d’aimer. En présentant Nathan (Arnaud Valois), un nouveau venu aux réunions, qui tombe amoureux de Sean (Nahuel Perez Biscayart, bouillonnant), jeune séropositif, le cinéaste et auteur ramène le cinéphile dans le brut, l’humain, le ressenti. Sans jamais tomber, ni dans une espèce de voyeurisme face à la maladie, ni dans le larmoyant, il met en scène l’intimité des deux hommes avec une élégance faite d’économie, de dépouillement et donc, de sincérité. Il en résulte donc une force et une beauté des sentiments montrés. Cela ne doit pas faire oublier la mort, que Robin Campillo ne se prive pas de montrer, usant de la même simplicité de mise en scène. Il n’est pas étonnant que 120 battements par minute ait été choisi par la France pour la représenter aux Oscars. Un film aussi fort et bouleversant mérite, non seulement une énième reconnaissance formelle – le long métrage a remporté, notamment, le Grand Prix du jury à Cannes en mai dernier –, mais aussi d’être vu par le plus grand nombre de cinéphiles possible.