Le Journal de Montreal - Weekend

CLIN D’OEIL À UN TERROIR DÉMYSTIFIÉ

- JOSÉE BOILEAU

Il suffit de peu pour installer une ambiance, et Jean-Philippe Chabot s’en assure d’entrée de jeu en indiquant « roman canadien-français » sous le titre de son bouquin. Bienvenue dans un roman délicieuse­ment moqueur.

Sous le vocable « canadien-français », que d’images se forment – anciennes, folkloriqu­es, un brin clichées, mi-légendes, mi-histoires vécues. Et c’est exactement de cela que l’auteur va jouer dans Le livre de bois, son premier roman.

Le héros de son récit, on ne s’en étonnera pas, sera bûcheron. Il s’appelle Jacques Côté, « qu’on appellera aussi Jacques Côté Descôteaux des ruisseaux à l’Anse Lebel ». Et forcément, dans ce roman qui se revendique de la tradition en cette veille du jour de l’An, Côté se fait sa propre chasse-galerie, quittant seul, à pied, le camp où il bûche pour aller retrouver sa femme dont il s’ennuie – oui, comme le célèbre François Paradis de Maria Chapdelain­e.

UN HÉROS SANS HISTOIRE

Chemin faisant, il se croit assailli par une bête terrible ; il se défend et, malchanceu­x comme toujours, finit par constater qu’il a simplement tué le veau d’un cultivateu­r des environs. Il va donc vouloir ensevelir l’animal pour camoufler sa gaffe.

Mais en creusant, il tombe sur un objet qui n’a pas d’affaire là : un livre de bois. Et ce livre, c’est la vie de Jacques Côté qu’il raconte. Le voilà donc héros de sa propre histoire, lui qui, pourtant, n’en a pas, ou si peu !

VILLAGE D’AUTREFOIS

L’analogie avec un certain destin canadien-français se pointe, et Jean-Philippe Chabot l’explore avec une verve enlevante. Il pige avec justesse dans les expression­s d’autrefois et il plante son récit dans l’un de ces villages comme il en fut créé à profusion au Québec au début du 20e siècle, pourvus comme de raison d’une église et d’un moulin à scie.

Était-il si bon, ce bon vieux temps où les horizons étaient surtout bien limités, où la pauvreté régnait, où l’on se faisait des accroires avec peu ? Pas tant, démontre le récit. Mais celui-ci n’a rien à voir avec la condescend­ance, c’est plutôt un pétillant clin d’oeil à un passé mythifié.

TOURNER EN ROND

Comme l’auteur maîtrise parfaiteme­nt les codes du roman du terroir, on oscille entre le sourire et l’éclat de rire. D’autant que si la « vie écrite d’avance » de Jacques Côté peine à se trouver des rebondisse­ments, les histoires que se content les hommes, partis bûcher de longs mois dans les bois, ne manquent ni d’exagératio­ns, ni de diable qui rôde, ni de cocasserie­s. Mais on voit aussi dans ce

Livre de bois des espérances qui s’éteignent : celles de fonder « un pays haut, un pays fort […], une patrie noble et française ». Hélas, devra constater Côté, « l’espoir grandissan­t d’un peuple qui naît » n’ira pas très loin et son histoire finira par tourner en rond.

Une conclusion à méditer pour ce livre qui nous brasse la mémoire.

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