Le Journal de Montreal - Weekend

L’ESPOIR MALGRÉ TOUT

Après La femme qui boit, La neuvaine et La donation, le cinéaste Bernard Émond et l’actrice Élise Guilbault refont équipe pour un quatrième film ensemble, Pour vivre ici, un drame sur le deuil et la transmissi­on, rempli d’espoir et de lumière : « Je pense

- MAXIME DEMERS

Bernard Émond ne s’en cache pas : rapidement, dans le processus d’écriture de Pour vivre ici, son 8e long métrage de fiction, il a su qu’il souhaitait confier le rôle principal du film à son actrice fétiche, Élise Guilbault.

Il en a glissé un mot à la comédienne, qui s’est d’abord montrée réticente parce que le personnage en question, une femme endeuillée, devait être un peu plus âgé qu’elle. Mais en lisant le scénario quelques mois plus tard, elle n’a plus hésité et a accepté tout de suite de renouer avec le cinéaste pour une quatrième fois en 16 ans.

« Il y a une connivence extraordin­aire entre Élise et moi, indique Bernard Émond, en entrevue au Journal plus tôt cette semaine.

« Il s’est développé au fil des collaborat­ions une belle amitié profession­nelle. On est très proches. J’ai parfois l’impression que je ne la dirige plus et qu’on n’a pas besoin de mots pour se comprendre. Quand on est en train de tourner une scène, elle sent dans mon regard et je sens dans le sien si on a besoin de faire une autre prise. Et ça, c’est formidable. »

Dans Pour vivre ici, Élise Guilbault se glisse dans la peau de Monique, une femme dans la soixantain­e qui, après avoir perdu son mari, décide de quitter sa maison de Baie-Comeau pour aller visiter ses enfants à Montréal, puis revoir les lieux de son enfance, en Ontario. Comme dans ses précédente­s collaborat­ions avec Bernard Émond, Élise Guilbault a dû opter pour un jeu tout en retenue où l’émotion passe davantage par les regards et les silences que par les dialogues.

« Quand je travaille avec Bernard, j’accepte cette espèce d’abandon et de retenue dans le jeu qui est propre à son cinéma, souligne l’actrice.

« La retenue est un vrai travail pour moi. Parce qu’en tant qu’acteurs, on a l’habitude de faire affaire avec nos habiletés. Mais Bernard ne veut rien savoir des artifices dans le jeu. Ce qui l’intéresse, c’est d’aller au coeur de la personne et au fond de son âme par un regard ou un coup de vent qui fouette un visage et qu’on perçoit presque un frisson. Il y a un vrai dépouillem­ent dans ses films qui me touche beaucoup. »

FOSSÉ GÉNÉRATION­NEL

Pour le scénario de Pour vivre ici, Bernard Émond s’est vaguement inspiré du film japonais Tokyo Story (1953) qui raconte l’histoire d’un couple de retraités japonais qui quittent leur campagne pour aller rendre visite à leurs enfants, à Tokyo. Ce qui l’a frappé dans ce film et qu’il a voulu aborder dans son oeuvre, c’est la rupture entre les génération­s. Ainsi, en arrivant à Montréal pour rendre visite à ses deux enfants, le personnage de Monique s’apercevra que le lien avec eux s’est brisé. « Je ne pense pas me tromper en disant que le fossé entre les génération­s n’a jamais été aussi grand qu’en ce moment, observe Émond. « Jamais le monde des parents et de leurs enfants n’a été aussi éloigné qu’en ce moment. Il s’est passé quelque chose, une rupture entre les génération­s et une rupture de transmissi­on. J’avais envie de parler de cela. Mais ce n’est pas un film pessimiste pour autant parce que la transmissi­on se fait quand même, comme on le voit dans la scène finale. Je pense que c’est un de mes films les plus lumineux. Peut-être même le plus lumineux. »

Aussi, comme dans ses films précédents, Émond a voulu prendre le temps de filmer la beauté du Québec. Dans ce cas-ci, ce sont les paysages hivernaux de la Côte-Nord qui l’ont inspiré.

« Cette beauté-là, j’avais envie de la montrer, dit-il.

« Lors du tournage de certaines scènes extérieure­s, il faisait -32 ˚C, sans compter le facteur vent. Mais pour moi, le temps est important. Dans le monde contempora­in, on est soumis à un déluge d’images qui fait qu’on est totalement sollicités. Moi, ce que je propose aux spectateur­s, c’est de faire un pas de côté, et de venir s’asseoir dans une salle pour regarder la beauté du monde, la profondeur des sentiments, le visage d’une comédienne. Pour moi, la raison d’être du cinéma, c’est de pouvoir s’approcher de la beauté du monde. Si le cinéma se met à faire ce que la publicité fait, ce qui est de plus en plus le cas, je crois qu’il y aura quelque chose qui se perdra. » Le film Pour vivre ici prendra l’affiche le vendredi 23 février, après avoir été présenté en ouverture des Rendez-vous Québec Cinéma mercredi.

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Élise Guilbault dans une scène du film Pour vivre ici, sa quatrième collaborat­ion avec le cinéaste Bernard Émond.

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