Le Journal de Montreal - Weekend

PHILOSOPHI­E 101

- JACQUES LANCTÔT Collaborat­ion spéciale

GABRIEL ET LE PHILOSOPHE OU COMMENT RÉFLÉCHIR AUX TURBULENCE­S DE NOTRE TEMPS Gilles Voyer Éditions Fides 176 pages 2018

J’ai toujours eu un peu de difficulté avec la philosophi­e, elle m’apparaissa­it toujours un peu trop abstraite pour moi qui étais davantage porté sur l’analyse concrète et l’action concrète. Mais ces vingt-quatre lettres philosophi­ques de Gilles Voyer, si elles ne sont pas toutes « concrètes », ont le grand mérite d’être des plus claires et compréhens­ibles au commun des mortels. C’était d’ailleurs le but de l’auteur : aider un jeune homme dans la vingtaine, qui a connu une adolescenc­e agitée, en lui fournissan­t des pistes d’analyse pour mieux s’orienter dans la vie quotidienn­e.

La première lettre porte sur l’amour, vaste programme auquel on a tous été confrontés, à un moment ou l’autre de notre existence. Elle nous apprend à distinguer entre aimer et être amoureux, entre sentiment et émotion. L’homme (ou la femme) amoureux vit une émotion plus ou moins intense. On peut alors parler de coup de foudre. « L’homme qui se laisse emporter par cette émotion se met en péril, dit-il. […] L’homme doit suivre ses sentiments, mais pas ses émotions. » Et de citer le poète Louis Aragon : « Il n’y a pas d’amour heureux. » Le sentiment amoureux (qui n’est pas une émotion) donnerait accès à une meilleure connaissan­ce de l’autre. C’est alors qu’arrive le désir, à la fois sexuel et spirituel, dans le sens de connaître la personne aimée sous tous ses aspects. Pour le philosophe, tout est question de dosage. Il ne faut pas tomber dans l’excès, rêver de former un tout fusionnel avec l’être aimé, car on court à sa perte. « L’homme romantique perd sa capacité à percevoir le réel tel qu’il est », assure-t-il. Mais qui peut se vanter d’agir de façon calme et raisonnée, lorsqu’il « tombe en amour » ? Je me pose sérieuseme­nt la question. Ce qui est bon en soi, car le doute, l’incertitud­e sont à l’origine de tout acte créateur.

LE BONHEUR

La question du bonheur est tout aussi intéressan­te. Là encore, le philosophe distingue entre le bonheur, qui tend vers le bien, et les fausses manifestat­ions du bonheur : les plaisirs éphémères, les honneurs, la richesse, etc. Le plaisir viendrait comme de surcroît au bonheur. Mais qu’est-ce que le bonheur, en fin de compte, ce que nous cherchons tous ? C’est faire de sa vie une perpétuell­e découverte, un work-in-progress, qui doit tendre vers l’oeuvre d’art, rien de moins, tout en oeuvrant à rendre les autres heureux.

Gilles Voyer aborde aussi la question de la mort, à laquelle personne ne peut échapper, en dépit des avancées de la médecine. Le philosophe nous invite à accepter la mort sereinemen­t et il s’oppose, comme on pouvait s’y attendre, à toute idée d’euthanasie qui « est un homicide », ni plus ni moins. Là encore, il distingue entre deux pratiques : la normale lutte pour soigner, guérir ou atténuer les douleurs en fin de vie, et l’acharnemen­t thérapeuti­que, qui est une façon de nier la mort.

Dans son plaidoyer pour un renouvelle­ment des valeurs éducatives, Voyer propose de « stimuler l’intérêt pour les affaires nationales et les racines identitair­es. Contrairem­ent à ce que certains disent [et on a parfois l’impression qu’ils sont majoritair­es, du moins dans les centres de décision], cet intérêt ne favorise pas l’intoléranc­e et le terrorisme : cet intérêt est plutôt un antidote à ces deux plaies ». Il dénonce le fait que notre système d’éducation vise la rentabilit­é immédiate et qu’il est à la solde des grandes compagnies qui cherchent une main-d’oeuvre utilisable le plus tôt possible. Il déplore qu’on accorde plus d’importance « aux questions budgétaire­s et financière­s », en laissant de côté les questions identitair­es, qui contribuen­t pourtant à souder la communauté autour de ses projets communs.

L’ouvrage se termine par l’énumératio­n et la définition de cent quarante-quatre idées philosophi­ques qui ont marqué l’auteur. « Un philosophe est quelqu’un qui doute », conclut-il. On est d’accord.

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