Le Journal de Montreal - Weekend

AUSSI BELLE QUE CRUELLE

Il est bien cruel, le conte que déroule Isabelle Jubinville par la voix d’une mère qui le chante à son enfant. Mais il est aussi envoûtant que le chant des sirènes, si vilaines soient-elles.

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

Cette mère-là tente d’apaiser son fils enfiévré « avec la berceuse que ma mère me chantait pour repousser les nuages, les nuits de tempête ». Mais de la tempête, on ne s’éloigne pas tant. Au contraire. Car le conte de la mère met en scène un jeune garçon, Tod, qui vivra mille mésaventur­es.

TUMULTUEUX PARCOURS

À six ans, Tod est abandonné par sa mère sur un radeau qui part à la dérive. Sauvé des eaux, il se retrouve à l’orphelinat – jusqu’à ses 15 ans où il est envoyé chez les soeurs Bischoff, femmes odieusemen­t méchantes. Elles finiront par le diriger vers un bateau qui le conduira vers un étrange archipel, celui où, dit-on, les garçons de son âge disparaiss­ent.

Mais Tod réussira à quitter l’île grâce à un sous-marin, pour ensuite trouver refuge sur un autre navire qui lui-même le ramènera à sa ville de départ – celle où se trouvent la mère et son enfant fiévreux.

Compliqué ? Certes. Mais chaque rebondisse­ment est ponctué d’un chant, ce qui permet d’en suivre facilement l’évolution.

Ce qui est toutefois déterminan­t, c’est que tout au long de son tumultueux parcours, ce sont des femmes qui menacent Tod et les autres orphelins mâles qui croisent leur route. Elles sont les pirates au féminin, les ogresses des contes anciens, porteuses d’une terrible vengeance. Il y a de quoi faire après les horribles viols que des hommes leur ont fait subir.

Mais ce dur propos a un atout : la beauté de la langue et la force de l’univers créé par Isabelle Jubinville, exlibraire dont c’est le premier roman.

FABLE DES TEMPS MODERNES

On apprendra vite que l’histoire se déroule après la Deuxième Guerre mondiale et que sa filiation d’horreur est allemande. Mais au fond, nous sommes hors du temps, du côté des contes traditionn­els peuplés de monstres et d’enchanteme­nt, où la colère peut se permettre d’être terrible et les souffrance­s mises à nu.

À quoi s’ajoute la mer : quel puissant vecteur pour l’imaginaire ! Isabelle Jubinville sait en utiliser toute la force. Il est donc question de ports et de docks, et de capitaine « laid comme un croquemita­ine ». Les visages sont balafrés, les cales sont étouffante­s, les îles pleines de mystères et les sables enveloppan­ts.

Mais dans ce monde bien sombre se dessinent des brèches. C’est par elles que l’on verra passer l’amour maternel, celui qui permettra à Tod d’échapper au destin qui devait être le sien. Cette curieuse fable des temps modernes est aussi une leçon de résilience.

 ??  ?? PHOTO COURTOISIE CRUELLE BERCEUSE Isabelle Jubinville Éditions Leméac 119 pages 2018
PHOTO COURTOISIE CRUELLE BERCEUSE Isabelle Jubinville Éditions Leméac 119 pages 2018
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada