Le Journal de Montreal - Weekend
MOINS DE DÉBAT, UN PEU D’ANALYSE ET BEAUCOUP D’OPINION
On apprenait cette semaine que Barack Obama animerait une émission de débats sur Netflix. En France, la programmation télé pullule de tables rondes et d’échanges corsés. Au Québec, nous avons eu des années où les débats étaient plus animés. Nous avons eu des tribunes. Des Marie-France Bazzo, des Claire Lamarche. Mais alors que nous sommes inondés d’opinions plus ou moins réfléchies sur les réseaux sociaux, à la télé, les vitrines sont moins nombreuses.
« De l’opinion, il y en a beaucoup, mais de l’analyse, peu, constate Arnaud Granata, éditeur d’Infopresse et producteur au contenu et collaborateur de l’émission Dans les médias. Le rythme de l’information s’accélère. À cause du web, les chaînes doivent tirer leur épingle du jeu, être dans la réaction, l’émotion, pour garder l’intérêt du spectateur. L’écosystème médiatique est complètement bouleversé. »
Anne-Marie Withenshaw suit assidûment les phénomènes télévisuels, en tant qu’animatrice productrice, mais aussi pour C’est juste
de la télé, émission phare depuis 12 ans dont elle est à la barre. « À la télé, il y a moins de tout. Moins d’émissions non fictives, moins de variétés, moins d’émissions de musique, de culture. On essaie de jazzer les contenus en fusionnant avec des vedettes et on laisse de moins en moins de chance à une émission de s’établir. On est beaucoup en mode panique au Québec, contrairement aux États-Unis, où on est plus dans la constance. »
CRITIQUE VS ANALYSE
Anne-Marie remarque aussi que la télévision évolue avec les années, comme c’est le cas à C’est juste de la télé. « Avant, on était dans l’analyse à travers les filtres culturels des panélistes. On est devenu plus critique. Je me suis habituée à ne plus avoir de fun dans les galas parce qu’il m’arrive de me faire regarder d’un mauvais air. Mais faire de l’analyse, ce n’est pas juste faire de la critique, poursuit-elle, c’est se servir de son cerveau, pousser la réflexion. À C’est juste de la télé, par exemple, on le fait toujours intelligemment et dans le respect. Notre public s’attend aussi à ça de nous. D’ailleurs, je suis impressionnée que nous survivions depuis si longtemps parce que sur Twitter, c’est de la télé qu’on parle le plus ! » De son côté, Arnaud Granata, en créant Dans les médias, voulait « aller au-delà de l’image, analyser les spin doctor, la couverture médiatique, les stratégies, explique-t-il. Nous avons, autour de la table, des expertises bien distinctes, ce qui permet des visions différentes et des opinions divergentes. Et nous n’avons pas la langue dans notre poche. Cet échange, il se poursuit aussi avec nos invités... »
L’IMPACT DES RÉSEAUX SOCIAUX
« On vit dans un monde où il y a de l’opinion partout et toutes se valent, mais elles ne sont pas toutes à mettre au même niveau, car certains commentaires sur les médias sociaux sont à prendre avec des pincettes, poursuit Arnaud. L’élection de Trump, par exemple, montre à quel point les réseaux sociaux peuvent être un danger pour la démocratie ! »
Arnaud remarque d’ailleurs que des émissions d’informations ou d’affaires publiques qui avaient intégré les
commentaires des téléspectateurs sont revenues sur leur décision, y voyant un forum pour l’intimidation.
« Une vraie critique demande de l’investissement, tranche Anne-Marie. Ça va bien au-delà de 140 caractères. Pour être à la fois critique et récipiendaire sur les réseaux sociaux, je trouve que les gens sont méchants. Il y a une épidémie d’opinions. »
PAROLE CITOYENNE
Dans cette ère de réseaux sociaux, la chaîne MAtv a décidé de donner télévisuellement la parole aux citoyens. « C’est au coeur de notre mandat, explique son directeur principal, Steve Desgagné. Nous offrons une tribune à la population avec l’émission Ma parole, par exemple. C’est une télé de proximité. Sur les réseaux sociaux, tu es seul dans ton coin alors que sur les ondes, tu ne peux pas dire n’importe quoi. Les intervenants sont choisis avec soin pour leur diversité d’opinions. Sans être axée sur le débat, Mise à
jour planche sur des tables rondes qui favorisent aussi la diversité d’opinion. Je remarque que des gens qui veulent participer à des débats à la télé, à l’exception de vedettes, il n’y en a pas tant. On ne s’expose pas sur la place publique aussi aisément qu’en France, remarque-t-il. »
Quoi qu’il en soit, notre télé a besoin de continuer à alimenter les débats. C’est un outil de mise en garde, d’éducation. Un média pour forger nos opinions, ouvrir nos esprits et favoriser la communication. Mais ce genre d’émissions occupent beaucoup plus les ondes virtuelles, souvent anonymes et insouciantes, que télévisuelles. Même ce qui se consomme rapidement ne devrait pas manquer de contenu. Prendre le crachoir est un privilège que tous n’ont pas.